Musinga et les Peres Blancs : Rapport politique confidentiel du 24 Mars 1918

Standard

Par P. Stefaan Minnaert, historien

Dans cet article, nous voulons présenter un document de 1918 intitulé : « Musinga et les Missions : Rapport politique confidentiel »[1].  Cette présentation fait partie de notre conviction que la décolonisation de l’histoire du Rwanda, aussi bien que celle de toute Afrique, passe nécessairement par un retour aux archives. Il nous faut réexaminer les documents historiques. C’est important pour arriver à une connaissance plus juste du passé, une connaissance qui respecte aussi bien le point de vue des colonisés que celui des colonisateurs (explorateurs, militaires, fonctionnaires et missionnaires). C’est un travail de longue haleine et dont le résultat ne plaira certainement pas à tout le monde.

Le document en question est la copie dactylographiée d’un rapport confidentiel du 24 mars 1918, dont l’original n’a pas encore été retrouvé. Il est conservé dans les archives générales des Pères Blancs (ou Missionnaires d’Afrique) à Rome[2]. Cette copie porte comme référence le numéro 111380-111383. Le document est connu par quelques historiens privilégiés, entre autre par l’historien Linden. Celui-ci le signale dans son livre « Church and revolution in Rwanda », publié en 1977, en l’appelant : « Rapport politique confidentiel, Defawe to Declerck »[3]. La partie du titre « Musinga et les Missions » n’a pas été mentionnée. En plus, l’historien ne facilite pas l’accessibilité au document. Comme référence, il donne uniquement le numéro de la boîte en carton (n° 111) qui contient le document. Ce défaut a été corrigé dans la traduction française de son livre de 1999 par une référence plus précise (n°111380)[4]. Le document compte six pages de format A-4. Certains passages et mots sont écrits en lettres majuscules pour souligner leur importance. En marge du rapport un inconnu a écrit une remarque au crayon[5]. Comme il s’agit d’une copie, il est bien possible que le document contient quelques erreurs de transcription.

Le rapport est issu d’un contexte politique bien particulier, c’est-à-dire celui de l’année 1918. Suite à la Première Guerre Mondiale, le Rwanda vient de passer de l’occupation allemande à l’occupation belge[6]. La population a terriblement souffert des pillages et des réquisitions de la main d’œuvre, de la nourriture et du bois à chauffer. L’économie en est sortie complètement déréglée. Ceci a eu des répercussions sur la santé publique. La population affaiblie a été décimée par la famine de 1916 à 1917 et par une série de maladies. Les missions des Pères Blancs connaissent un délabrement au point de vue matériel et humain[7]. Musinga (v.1882-1944)[8] lui-même a échappé de justesse à la peine de mort. En mars 1917, les Belges l’ont mis en prison pour trahison. Accusé de collaboration avec les Allemands, il risquait d’être pendu. Jamais un mwami[9] n’avait été humilié de cette façon par des étrangers! La détention de Musinga a été de courte durée, étant donné que sans lui le pays serait ingouvernable.

Au courant de l’année 1917, les Belges changent de politique. Dorénavant ils essaient de gagner la confiance de Musinga. Ils lui donnent une belle décoration avec la promesse d’un vrai palais en briques[10]. Toutefois ils lui retirent son droit coutumier de vie et de mort. Et ils l’obligent à proclamer la liberté religieuse pour tous ses sujets. Musinga accepte difficilement ces décisions. Elles lui enlèvent les fondements coutumiers de son pouvoir et de son autorité. Au début de l’année 1918, le résident militaire belge à Kigali, le Major Gérard-François Declerck (1878-1919), Résident du Rwanda, s’adresse à Musinga pour qu’il fasse connaître ses griefs contre les Pères Blancs. Le sous-officier Mr Defawe est chargé d’en faire un rapport[11].

En effet les Pères Blancs dérangent Musinga de plus en plus. Ils menacent son pouvoir et son autorité par leur zèle missionnaire qui touche parfois au fanatisme sectaire. Voulaient-ils faire de son pays une théocratie à coup de force ? Ils ont en tout cas su profiter de l’arrivée des Belges pour améliorer leur situation[12]. Ils ont agrandi les terrains de leurs missions. En plus ils ont introduit les réunions de colline pour animer les chrétiens mais aussi pour mieux contrôler la population et « espionner » l’autorité autochtone[13]. Et finalement, ils ont commencé à faire nommer des chrétiens comme chef de colline. Malgré leurs divisions internes[14], ils sont au zénith de leur pouvoir en tant qu’informateurs et conseillers des Belges. A l’exception des germanophones, ils ont accueilli les Belges avec soulagement comme leurs libérateurs. Au courant de l’année 1910, ils avaient été pris en otage par les Allemands d’après le Père Froberger (1871-1931), délégué de son supérieur général Mgr Livinhac en Allemagne :

« (…) J’espère que tu as reçu maintenant mes deux lettres. Aujourd’hui je t’écris brièvement. Cher Père, je vis dans une grande crainte et je ne peux pas trouver le repos, le fait est que nous sommes exposés à un grave danger. Aujourd’hui je t’envoie, sous couvert spécial, la traduction d’un article d’un journal connu. Mais cette chose, quoique très grave, n’est pas celle qui m’inquiète le plus, ce sont plutôt ces choses qui ont un rapport avec la mort violente du P. Loupias. On m’a dit que vous, à la Maison-Mère, vous ignorez une partie de ces événements, parce que personne n’ose en parler et parce que ces événements furent cachés au Père Visiteur[15]. On dit que Hirth connaissait ces événements, mais on doute qu’il vous ait vraiment tout dit. Moi je ne sais pas si cela est vrai et je ne peux pas le croire parce que cela me semblerait trop étonnant. Mais comme maintenant je ne doute pas que notre Gouvernement de B[erlin][16] sache tout, pour la raison que je sais avec la plus grande certitude que ces choses ont été révélées au Dr. Kandt[17] et que lui, certainement, a tout raconté en plus haut lieu, je comprends suffisamment bien que nous sommes dans la plus grande insécurité. Car il s’agit de tous ces crimes dans lesquels le sang répandu crie au ciel. Il s’agit de la mort infligée à quelques pauvres personnes par [huit groupes de dix?] et des tortures atroces (Issavi Br[ard])[?], il s’agit de la guerre de Kissenyi, des deux guerres de Mulera dans lesquelles pas simplement les hommes mais aussi des femmes et des petits enfants ont été tués par ces personnes (Cl[ass]e, B[arthélem]y, L[oup]ias, D[uf]ay[s], P. etc.). Moi, j’avais déjà su ces choses de façon sûre précédemment par diverses sources, mais j’étais tout de même d’avis que ce qui m’avait été confié, fut exagéré, et en outre que ces choses furent connues de vous. Mais puisque ces personnes se trouvent toujours en partie à un grade supérieur, je doute que vous soyez au courant de tout. Ils m’ont dit que ces choses ont été cachées au P. M[al]et, surtout le cas terrible d’Issavi. Dr. Kandt avait dit qu’il ne dirait rien à ce sujet, mais ce serait une très grande stupidité d’admettre qu’il aurait vraiment agi ainsi ; nous devons plutôt accepter le contraire jusqu’à ce que soit prouvé que cela n’a pas été fait. L’affaire est donc grave, parce que nos députés ont attaqué le Gouvernement avec des accusations, et le Gouvernement, pour se défendre, parlera, probablement, de ces faits. Tout notre espoir consiste en ceci que cela n’arrive pas, pour cela nous devons procéder avec extrême précaution, et moi, je dois veiller à un haut degré. Si [le] G[ouvernement] parle de ces choses, nous serons des hommes totalement dépravés dans l’opinion des gens ici, et il n’y aura plus aucune possibilité d’une présence ultérieure en ce pays ni dans les colonies qui lui sont liées. Je ne peux pas t’expliquer tout ici par écrit, mais tu peux croire que je n’exagère pas. Moi-même je ne pourrais pas continuer et je désespérerais quant à notre œuvre. » [18]

Le bon accueil réservé aux Belges par les Pères Blancs n’est donc pas étonnant. Beaucoup parmi eux sont Français ou Alsaciens. Tous abhorrent les Allemands depuis la guerre franco-prussienne (1870-1871) soldée par une défaite française[19]. En communauté, ils parlent le français et ils favorisent la culture française, souvent sans en être conscient. Les Allemands ne sont pas du tout contents. Le Chancelier allemand Bismarck (1815-1898), à l’époque, voulait bien que les Pères Blancs dans la colonie de Deutsch-Ostafrika soient de préférence des nationaux. Le Chancelier se méfiait du patriotisme français du Cardinal Lavigerie (1825-1892), leur fondateur[20]. Au Rwanda, en 1918, les Pères Blancs n’avaient pas encore réussi à se défaire de leur imago français malgré quelques efforts. Le Père Huntziger, lui-même de nationalité française, en parle dans une lettre :

« Après avoir longtemps supplié Sa Grandeur Monseigneur Hirth, j’ai pu enfin obtenir de laisser le supériorat de la station de Nyundo. Le travail considérable que demande cette belle mission, la direction des religieuses, le voisinage immédiat de la station militaire, après avoir consulté, m’ont paru des raisons suffisantes pour insister auprès de Sa grandeur. Elle a bien voulu enfin accéder à ma demande et a nommé à ma place le P. Schumacher qui étant de nationalité allemande aura toutes facilités pour les relations. C’est une question bien délicate et difficile que cette question de relations avec ces Messieurs des stations militaires pour un supérieur de nationalité française. Malgré toutes les politesses et les services rendus, il existe toujours chez ces messieurs une froideur voulue qui peut être la cause d’une sourde opposition faite à la mission. Il me semble que de plus en plus les supérieurs des missions devront être des Allemands si on veut que les relations soient bonnes. Quittant Nyundo, j’ai été désigné pour Issavi[21]. Le supérieur actuel de cette belle mission va la quitter pour rentrer en Europe et ce Père Pouget, si dévoué, va être remplacé par le P. Lecoindre. Nous ne serons que des Français à la mission. C’est un inconvénient pour les étrangers qui y passent assez souvent »[22].

En 1917, le Père Classe (1874-1945) écrit au Major Declerck (1878-1919)[23], que le pays a pour la première fois un gouvernement qui prend à cœur les intérêts des autochtones[24]. Il est intéressant de savoir que ce Père fut un Lorrain de nationalité française. Pour plaire aux Allemands, il avait fait des démarches, quelques années avant, pour obtenir la nationalité allemande. Et il avait aussi chanté le « Te Deum » pour célébrer les premiers succès militaires des Allemands en 1914.

Musinga, en mars 1918, confie enfin ses griefs contre les Pères Blancs à Mr Oscar Anthème Defawe (1891-1952). Ce sous-officier est alors le chef du poste belge à Nyanza[25]. Il est aussi conseiller du Mwami. Membre de la loge, il est très écouté à Bruxelles dans les milieux anticléricaux. Il mène une politique contre les missionnaires[26]. Il partage donc le point de vue de Musinga à propos des Pères Blancs. Est-ce que cela a influencé sa présentation du rapport ? Nous constatons que durant sa carrière militaire, il intervient toujours pour diminuer leur influence. Une de ses victimes sera le Père Léon Huntziger (1884-1977), un missionnaire très estimé par les gens de Save. Le journal de la mission de Kabgayi suppose que Mr Defawe a épousé la fille du chef Ruzigana probablement selon les coutumes du pays[27]. Est-elle la mère de son fils Jacques ? L’amitié de Mr Defawe avec Musinga est connue. Quand le Mwami reçoit une voiture comme cadeau, il sera son chauffeur. Il organise l’école pour fils de chefs à Nyanza. Et il construira la route de Nyanza vers Save. Son amitié avec Musinga sera de courte durée. Tombé en disgrâce, pour des raisons que nous ignorons, il sera obligé de quitter son poste en novembre 1921 pour aller au Burundi[28]. Une année avant son départ, un habitant du pays aurait tenté de l’assassiner[29]. En 1924, Mgr Gorju, le Vicaire Apostolique du Burundi, écrira de lui :

« Vous n’avez pas oublié sans doute que toutes ses affaires [au Rwanda et au Burundi] sont venues d’un certain Defawe lequel était dans les parages de Nyaruhengeri – isavi. Cet individu a fait son chemin. Aujourd’hui il est dans l’urundi, administrateur, avec quelques chances de devenir un jour résident. (Le personnel administratif consiste en de jeunes gens venus de la guerre. L’avancement est automatique et amène au pouvoir des individus souvent sans éducation). Le commissaire Rupel et le Résident Ryckmans en souffrent mais qu’y faire ? Homme d’une inconcevable vanité, bavard auquel j’ai dû faire laver la tête pour des propos injurieux qu’il tenait sur le compte de l’autorité du vicariat et non moins pour la conduite impertinente qu’il a tenue envers moi, homme jaloux comme pas un, vindicatif, etc. (…) »[30].

Chose curieuse mais vraie, Mr Defawe a laissé un excellent souvenir au petit-séminaire de Kabgayi. Il y est intervenu à plusieurs reprises pour nourrir les séminaristes[31]. Il y est aussi intervenu pour exempter ceux qui devaient faire les corvées à la place des membres de leur famille, affaiblis par une maladie[32]. Les interventions de Mr Defawe en faveur du petit-séminaire ont été possibles grâce à ses bonnes relations avec le Mwami. La question se pose si la gentillesse du « bon Monsieur Defawe » n’a pas été le résultat de ses calculs politiques. Il est bien possible qu’il ait pensé à recruter des fonctionnaires, parmi ces séminaristes, pour l’administration coloniale belge. Nul ne le saura. Mort en 1952, sa vie a été un roman d’aventures de courage et de bravoure qui parlent encore à l’imagination[33].

Les griefs de Musinga remplissent 6 pages. Ce n’est pas notre intention de les analyser ici en détail. D’autres sont mieux placés pour le faire. Nous voulons simplement attirer l’attention sur quelques points.

Il y a d’abord une référence à l’audience de 2 février 1900[34]. C’est lors de cette audience que la Cour a donné la permission aux Pères Blancs pour s’installer au pays. Jusqu’a maintenant aucune autre source historique ne parle de ce qui a été dit lors de cette fameuse audience. Dans le rapport, Musinga lui-même nous donne quelques précisons intéressantes. Il confirme que les Pères Blancs sont venus au pays pour des motifs religieux. « Pour leur Mungu », dit-il. A l’époque les Pères Blancs utilisaient ce mot kiswahili pour dire que leur Dieu était différent de celui des Banyarwanda, appelé en kinyarwanda « Imana ». La théologie missionnaire n’avait pas encore intégré la notion de « pierres d’attentes ». Lors de l’audience du 2 février, Mgr Hirth et ses confrères, avaient promis de respecter toute personne et de rester hors de la vie politique. Le Mwami donne beaucoup d’importance à ce dernier point. C’est à cette condition de rester hors de la vie politique, qu’il les accueillit et qu’il leur a donné un terrain à la demande des Allemands. Ici il y a une rectification à faire. Ce n’est pas Musinga en personne qui a donné la permission pour cette installation. En 1900, les rênes du pouvoir étaient encore dans la main de sa mère Kanjogera (v.1864-1933) et de son oncle Ruhinankiko.

Musinga prétend que les Pères Blancs ont respecté son autorité durant l’époque coloniale allemande. Cela n’a pas toujours été vrai. Lui-même fait allusion à la violence utilisée à Save par le Père Brard (1858-1919) et sa milice de catéchistes étrangers, armés de fusils. Pour cette raison, il est intervenu chez les Allemands ; il voulait que le Père soit éloigné du Rwanda. En effet, fin 1905, le Père Brard a été écarté d’une manière très originale. Elu par ses confrères comme leur représentant au Chapitre Général de 1906, ses supérieurs se sont arrangés pour qu’il ne revienne plus jamais au Rwanda. Cette décision avait été prise pour plusieurs raisons ; elles n’ont pas encore été précisées[35]. Il est curieux que Musinga ne dise rien des guerres organisées en 1904 par le Père Classe dans le Nord du pays. Ces atrocités, dont Mgr Hirth (1854-1931) écrira en 1908 qu’elles devraient rester pour toujours dans l’ombre, n’auraient jamais eu lieu si l’autorité de Musinga y avait été respectée[36]. En fin de compte nous pouvons nous poser la question si les Pères Blancs ont tenu leurs promesses du 2 février 1900.

Musinga constate que l’arrivée des Pères Blancs a donné une nouvelle impulsion aux tensions et aux divisons existantes dans la société traditionnelle. Celles-ci semblent avoir pris une telle ampleur, que le pouvoir autochtone n’arrivait plus à les contrôler. Elles déstabiliseront lentement mais surement la cohésion de la société traditionnelle ce qui aboutira finalement à la catastrophe socio-politique de 1959. Le Mwami remarque aussi l’existence d’un nouveau type de clivage entre Bahutu et Batutsi, des mots qu’il utilise pour faire la distinction entre les pauvres et les riches. Aussi bien les uns que les autres font la cour aux Pères Blancs pour toutes sortes de raisons. Ce n’est pas uniquement au Rwanda que la présence des Pères Blancs a secoué les sociétés traditionnelles. Dans tous les royaumes des Grands Lacs, en commençant par le Buganda, les missionnaires protestants et catholiques ont été un facteur de division au détriment de l’autorité autochtone. Au Rwanda, les Pères Blancs ont été aperçus entre autre comme des seigneurs (conquérants), des guérisseurs (infirmiers), et des sorciers (techniciens) venant d’un autre monde ; ils attiraient tous ceux qui voulaient améliorer leur situation économique, politique, et sociale. Par Musinga, nous apprenons finalement que certains catéchistes, abusaient une fois de plus de la confiance des Pères pour s’enrichir. L’exercice de l’autorité n’avait pas encore été évangélisé. Mais l’était-il chez les Pères Blancs ?

Dans le rapport, Musinga explique comment il comprend la liberté religieuse telle qu’il l’a proclamée en 1917 sous pression des Belges. Il se demande pourquoi lui et les siens n’ont pas le droit de pratiquer la religion traditionnelle. Et pourquoi, eux ne peuvent-ils pas ne pas se défendre contre l’agressivité et l’intolérance des Pères Blancs et de leurs chrétiens ? Musinga touche aussi le point délicat de l’utilisation de la force lors du recrutement des catéchumènes[37]. Il n’est pas étonnant que la question de la relation entre le christianisme et les religions traditionnelles soit remise sur le tapis dans l’Eglise catholique comme un champ de travail.

Finalement Musinga s’attaque au supérieur de Save, le Père Huntziger qui sert de bouc émissaire pour les erreurs commises par les Belges et les Pères Blancs lors du changement de régime colonial. Ce Père est un missionnaire hors du commun. Il a « le don de gouverner même les natures difficiles avec un excellent mélange d’autorité, de douceur et de fermeté »[38] C’est un chef énergique qui fait ce qu’il pense sans attendre l’avis de ses supérieurs. Il n’a pas peur de critiquer Mgr Hirth ni son vicaire général, ce qui est une affaire risquée chez les Pères Blancs qui donnent une grande importance à l’autorité et l’obéissance. En 1917, le Père Huntziger écrit au supérieur général, Mgr Livinhac (1846-1922) :

« C’est dommage que nous manquions à notre tête [au Rwanda] d’un homme d’énergie et de décision, sympathique à ses missionnaires. On aurait pu profiter beaucoup plus des circonstances, surtout auprès de la classe noble et faire faire un pas considérable à la cause de la religion, car les esprits de beaucoup y sont plus préparés qu’on ne le pense »[39].

Le Père Huntziger, de nationalité française sympathisait avec les Belges durant la grande guerre de 14-18. Par ses confrères du Congo, il avait été même mis au courant de la préparation de l’invasion belge au Rwanda[40]. C’est à la mission de Save, en juin 1916, que Huntziger rencontrera le lieutenant-colonel Frédérick Olsen, chef d’état-major du 2e Régiment de la Brigade Sud. Celui-ci propose au Père, alors supérieur de la mission, d’organiser le ravitaillement de ses troupes[41]. La proposition est acceptée et le Père organise ce ravitaillement avec l’aide de ses catéchistes. Aussitôt il y a des difficultés et des tensions avec l’autorité autochtone. Les catéchistes profitent de la situation pour s’enrichir. Et le Père Huntziger favorise un peu trop les chrétiens[42]. Finalement, il entre en conflit avec le sous-officier belge, Mr Defawe, dont nous savons qu’il écrira, quelques mois plus tard, le rapport confidentiel du 24 mars 1918[43].

Grâce au Père Huntziger, la population de Save échappe aux pillages des troupes belges, ce qui explique la popularité du Père. Son action par contre suscite la colère de Musinga. Comme allié des Allemands, il aurait voulu ralentir l’invasion des Belges en sabotant leur ravitaillement au prix des pillages de la population. Musinga dénonce le comportement violent et les abus de pouvoir des catéchistes du Père. Ils ont humilié les chefs lors de la campagne de ravitaillement et utilisé la force pour recruter leurs fils comme catéchumènes. Finalement, Musinga accuse le Père de l’avoir trahi auprès des Belges[44]. Cette trahison est racontée dans de journal de Save d’une manière discrète par le Père Huntziger lui-même :

« Le P. Supérieur est appelé à Nyanza par le Capitaine Philippin. On vient de découvrir que Musinga a eu des relations avec les Allemands et qu’à la capitale doit se trouver un certain Yenga-yenga, soldat allemand envoyé près de Musinga par le Capitaine Wintgens pendant sa retraite sur Tabora. Sur la demande du Cap. Wintgens, Musinga lui a envoyé une liste de près de 200 noms d’individus sensés être assassinés par les soldats belges. Cette liste parait fausse, et Lwakataraka pour sauver son père Lwidegembya, a raconté au Commandant Van Aerde comment cette liste a été rédigée sans aucune enquête sérieuse. Le P. Supérieur à Nyanza arrive à prouver que si ce Yenga-yenga existe réellement, il n’a pas été livré aux Belges par Musinga ; le Cap. Philippin a reçu de Musinga un faux Yenga-yenga. Musinga est en mauvaise posture car il nie avoir chez lui le soldat allemand recherché et affirmé par Lwakataraka »[45].

Le rapport de 1918 a eu d’abord des conséquences pour le Père Huntziger. Le 5 avril 1819, il reçoit une lettre « très mordante » du Major Declerck[46]. Le Major lui annonce que Musinga vient de faire un rapport contre la mission, l’accusant de vouloir créer un état dans l’état. Le Père Huntziger en tire la conclusion :

« Musinga se découvre et va se venger sur issavi de la politique des Belges au début. M. le Major qui a besoin de l’approbation de Musinga près du Haut Commissaire Royal, ne pourra croire entièrement la mission. D’avance, la lutte est inégale ; mais ce ne sera qu’une secousse dont la mission sortira toujours inébranlable, pendant que ces messieurs s’en iront »[47].

Le Père demande une entrevue à Nyanza, ne cachant pas que sa popularité, issue des circonstances, et son influence dans le pays doivent offusquer les autorités ecclésiastiques et coloniales. « De plus, écrit-il, tous les inconvénients sont difficilement évitables, et on ne peut toujours se rendre compte de tout ». L’optimisme du Père Huntziger sera de courte durée. Il ne survivra pas cette « secousse ». Désavoué par son vicaire général le Père Classe, un homme jaloux de son autorité et de sa réputation, Huntziger doit quitter le pays définitivement. En 1919, le Père Classe fera tout pour empêcher que le Père rencontre l’envoyé de Mgr Livinhac, le Père Gorju (1868-1942), venu au Rwanda et au Burundi pour examiner les tensions entre missionnaires[48]. Plus tard, en 1925, le Père Huntziger se défendra en vain dans une lettre à son supérieur général, le Père Voillard (1860-1946)[49].

Ensuite, le rapport de 1918 a également eu des conséquences à long terme pour Musinga. Vue l’importance de ses informations, les Belges ont passé une copie du rapport aux Pères Blancs. Ainsi ils ont trahi la confiance du Mwami. C’est un exemple, parmi d’autres, de l’existence d’une étroite collaboration entre Belges et Pères Blancs. Musinga se montre comme leur plus grand adversaire, à être écarté du pouvoir si possible. Treize ans plus tard, en 1931, les Belges, avec l’aide de Mgr Classe, le chasseront de son trône pour l’envoyer en exil d’où il ne reviendra plus jamais.

L’évangélisation du Rwanda est au fond une histoire complexe, ambiguë et douloureuse, laissant une grande blessure. Elle s’est attaquée aux fondements d’une culture qui a fait et fait encore la fierté des habitants de tout un pays dont le « mwami » était la pierre angulaire selon les coutumes ancestrales. L’évangélisation du Rwanda a eu un prix. Ce prix n’est-il pas la perte de l’unité et de la cohésion fragile de sa société ?

Texte du rapport

Lettre de Mr Defawe du 24 mars 1918 au Major Declerck.

copie[50]

Résidence du Ruanda

Poste de Nyanza

Rapport politique confidentiel

Musinga et les missions

24/03/1918

Mon Major,

Suivant votre désir j’ai groupé dans la mesure du possible les griefs de Musinga à l’égard des Missions.

C’est à Issawi qu’il s’adresse. Je lui ai promis qu’on ne lui reprochera pas sa franchise. Sur ce, il me fit les déclarations suivantes :

Du temps des Allemands tous les watuzis et tous les wahutus venaient chez moi pour les palabres ; tout le monde me respectait. Les Pères eux-mêmes me respectaient. Quand ils sont venus ils m’ont dit qu’ils ne venaient que pour leur MUNGU[51], qu’ils ne feraient au[cun] mal à personne et qu’ils ne se mêleraient pas de mes affaires. C’est à cette seule condition que j’avais, sur la demande des Allemands consenti à donner un peu de terrain. Les Pères me craignaient car ils savaient que j’étais le Chef du Ruanda et que les Allemands me soutenaient, puisqu’ils étaient contents de moi. Tout ce que les Pères disaient contre moi s’était « boulé »[52]. Cependant je laissais mes gens libres de travailler à la mission et quand même ils devenaient chrétiens ils m’écoutaient et voyaient en moi leur Chef.

Le jour où les Belges sont venus les Pères ont changé complètement ; ils se sont mêlés de mes affaires et m’ont fait tout le mal qu’on puisse faire à un homme, malgré qu’ils disent que l’on ne doit pas mentir, ils ont trompé les Blancs du Bulamatari[53]. Ils ont tellement raconté des mensonges qu’ils ont manqué de me faire pendre.

Je me plains de la mission d’Issawi. Quand je dis quelque chose à un Watuzi, si cela ne lui va pas il va trouver le Père, qui lui dit de ne pas m’écouter, que je n’ai rien à dire, que le Major ne veut pas cela, qu’il ne veut pas ceci, etc. Quand je demande un travail à un Wahutu des environs des missions, ceux-ci qui savent que les Pères font de suite des baruas[54] aux Blancs, vont vite se plaindre à la mission et crient à la ruine ou au vol.

Dans tous les villages des environs quand j’ai un Mutwale[55] à moi, les Pères mettent un chrétien pour le surveiller. Ce chrétien rassemble les mécontents ou les paresseux qui ont à se plaindre du Chef et il forme deux partis dans le village, celui du Père et celui du Chef.

Alors les gens du chrétien qui voient bien que le Père les soutient vont à la mission et deviennent chrétiens pour être sous la protection des Pères mais dans leur cœur ils se moquent d’eux. Du temps des Allemands un chrétien n’aurait pas osé faire une chose pareille, je l’aurais tué et on ne m’aurait rien dit. Aujourd’hui beaucoup le font et je n’ose rien dire sinon les Pères me cherchent misère.

Du temps des Allemands un nommé Willem qui était un Muhutu pauvre comme tous les autres et qui n’était donc pas riche comme un Mutuzi, travaillait à la mission d’Issawi. Je ne lui (sic) avais pas défendu. Un jour il est venu chez moi, s’est jeté à mes pieds et m’a demandé pardon de m’avoir quitté. Il était tellement pauvre qu’il m’a fait pitié et je l’ai laissé travailler à la Cour. Ensuite il a pleuré pour avoir quelque chose. Je lui ai donné deux vaches et la moitié d’une colline. Il s’est retiré dans ce bien. Quand les Belges sont venus le Père l’a rappelé à la mission et lui ont changé son nom. Ils l’ont appelé Guillaume. Les Pères ont ramassé des porteurs et des vivres pour les soldats et ont poussé Guillaume en avant.

J’aurais bien voulu protester car j’étais capable de fournir moi-même, mais les Pères disaient qu’ils le faisaient parce que le Bulamatari l’avait dit. Alors le Père d’Issawi a changé toute ma religion ; il était le maître et il se servait de Guillaume pour ses choses-là. Alors on a fait un poste à Ilange et les Pères ont dit que toute la région devait obéir à Guillaume. Mes plus grands Watuzis devaient s’incliner devant ce Muhutu Kabisa[56].

Ce Muhutu a fait comme Serefugi ; il est devenu riche et son bien est réparti entre ses Ndukus[57] pour ne pas qu’on puisse le reprendre. J’ai réclamé à tous les Blancs du Bulamatari. Tous m’ont donné tort. Un seul m’a compris et m’a dit de prendre patience, c’est toi.

Le Père Huntziger a pris dans la région d’Issawi des porteurs pour MWENZA[58] (6 à 8 cents). Il disait que c’était le Bulamatari qui lui donnait ce droit. Et bien il a pris mes gens et pas ses chrétiens. Si, quelques mauvais, comme il dit. Alors mes gens se demandaient qui était le Chef du Ruanda, si c’était moi ou les Pères. Pendant le temps du Capitaine Pilipili[59] toute la région travaillait à la mission. Musinga déclare de la façon la plus formelle, qu’un jour le Père Huntziger, en présence du Capitaine Pilipili, mais en Kigniaruanda[60], le capitaine n’a donc pas compris, il lui dit : « Maintenant Musinga vous êtes devenu bien petit, je suis votre Chef. Ce n’est plus le temps des Allemands ». Vous étiez grand autrefois, cela a changé ; quelques jours après les histoires commençaient. La prison, le poison, et toutes sortes de mensonges, tout le monde me méprisait ; il y avait au poste des canons et mitrailleuses. Les Blancs avaient peur d’être empoissonnés ou attaqués ; que pouvais-je donc faire avec mes lances. Tout cela ce sont les Pères qui l’ont dit. Quand je jouais du tambour on disait que c’était pour la guerre.

Issawi me cherche misère tous les jours. Il accuse sans cesse mes gens de vol, pillage, etc., et se sert de chrétiens comme témoins. Quand Sebabangali dit que les médailles des chrétiens sont « boulé[es] », on me le fait mettre en prison, mais quand le Père dit du mal de ma religion on ne l’enferme pas lui. Je ne veux pas de leur Mungu, pourquoi veulent-ils le mien et veulent-ils que les enfants disent du mal de ce que font (sic) leur Père ? Pour Sebananguli je vais te dire pourquoi le Père lui en veut et pourquoi il lui cherche misère.

Autrefois, le Niaruguru était à Lwamanylwa, c’était un homme qui m’était très dévoué ; il s’était jadis battu pour moi, je l’aimais beaucoup. Le Père le détestait car, lui aurait voulu que ce fût un Muhutu nommé Kaijuka qui soit chef. Aussi tout ce que faisait Lwamanylwa ne valait rien. De plus Lwamanylwa ne voulait pas de leur Mungu. Lwamanylwa a été mis plusieurs fois en prison à cause des méchancetés du Père qui lui disait toujours de belles paroles devant mais qui donnait des coups par derrière.

Lwamanylwa découragé et ayant perdu son autorité par suite de ses nombreuses palabres a été changé de territoire et a été remplacé par Sebabangali étrangé aux intrigues de cette contrée. Il était à peine arrivé que le Père en disait du mal. Lui aurait bien voulu que ce fut Kaijuka ou un de sa famille qui reçut la religion. Il a cherché misère au fils de Sebabangali en disant qu’il volait des vaches et des pioches aux autres. Mais c’était parce que le fils de Sebabangali était bien du poste d’Ilange et il gênait Guillaume.

Un jour le Capitaine Pilipili m’avait dit de remettre Kaijuka au Niaruguru ; j’ai tellement protesté qu’il ne m’y a pas obligé. Kaijuka est mon ennemi. Quand Sebabangali s’est rendu dans son territoire le Père lui a dit : donnez-moi votre enfant pour le mettre à l’école ! Mais lui n’a pas voulu ; il lui a dit qu’il donnerait son enfant à Nyanza. Alors le Père lui a dit : si vous ne me donnez pas votre enfant vous verrez que vous aurez des ennuis. Quelques temps après Sebabangali est venu chez moi se plaindre de ce que le Père lui avait dit et je suis venu te le dire.

Tu vois que maintenant les menaces du Pères sont arrivées. Le Père demande des pots de laits à Sebabangali qui n’ose pas refuser ; il n’en est pas payé. Musinga se plaint que ses Mutwales donnent des vaches au Père quand ils viennent à Nyanza pour que le Père fasse attention à leur colline et écrive au Blanc s’il arrive quelque chose.

Musinga se plaint que la mission d’Issawi reçoit des pots de lait et de pombe[61] des Mutwales qui n’osent pas faire autrement. Ils ne veulent pas dire les noms de ces chefs pour ne pas attirer la vengeance du Père. IL SE PLAINT QUE QUAND SES CHEFS VEULENT LUI FAIRE UN CADEAU ILS DOIVENT VENIR LA NUIT A L’INSU DU PERE SINON LE LENDEMAIN LE PERE CRIE AU VOL OU AU PILLAGE. Avant l’arrivée des Belges je disposais de mon territoire à mon gré, maintenant plus. Quand un homme voulait un village ou des vaches, il venait chez moi, il restait à la cour et quand je voyais qu’il était méritant je lui donnais une ou deux vaches et un petit village. Aujourd’hui il me faut presque la permission du Père et quand il ne veut pas et que je le fais, mon homme va tôt ou tard à la boite et c’est moi qui suis forcé de l’enfermer.

Le Bulamatari m’a fait dire que j’étais son ami et que je devais aider ses soldats. Je l’ai fait de mon mieux. Il m’a dit que je restais le Chef du Ruanda ! Je suis très content de lui et ses Blancs me veulent du bien. Je suis très content qu’il ait fait des écoles mais il m’avait dit que mes gens étaient libres de me rester à ma religion[62], pourquoi leur donne-t-on des livres pour leur apprendre à devenir des hommes des Pères ?

Dans les palabres de la religion d’Issawi pourquoi faut-il que dans toutes ce soit le Père qui réclame ? Pourquoi ne puis-je pas punir les Chefs qui, au lieu de venir réclamer chez moi, vont chez les Pères ? Dans toutes les palabres avec les chrétiens les miens ont toujours tort, sinon les Pères me font la guerre avec leur esprit.

Du temps du Capitaine Pilipili, le Père était tellement fort et ses paroles se réalisaient si bien que j’en avais peur. Pour essayer de me mettre bien avec lui j’ai fait comme mes Mutwales. Je lui ai envoyé une vache mais une vache stérile. Il a dit à mes gens qui la lui conduisai[en]t : Musinga n’a-t-il pas honte de m’envoyer une chose pareille ; je ne puis pas la tuer pour avoir la peau, je n’ai pas de femme à habiller. Il me faut une vache à lait. De peur de lui déplaire, j’ai été forcé de chercher deux vaches et deux veaux, je les lui ai envoyé[es] ; il les a pris.

Autrefois pendant la construction de la mission d’Issawi, il y a eu un Père[63] qui avait voulu commencer comme le Père Huntziger. Je me suis plaint aux Allemands et on l’a enlevé. Il est rentré en Europe et je n’ai plus entendu parler de lui. Les Allemands disaient comme le Bulamatari que les Pères ne pouvaient s’occuper de leur religion et [de ne] pas mettre leur nez dans mes affaires.

Puisque je puis tout te dire je continue.

Le Père Huntziger profite de toutes les histoires que j’ai avec mes Chefs, soit pour des raisons de famille ou autres, pour se glisser parmi eux[64]. Il offre sa protection aux mécontents et en échange obtient des gens et mêmes les propres enfants de ceux-ci ; c’est contre leur cœur qu’ils donnent des gens et leurs enfants mais c’est un marché. Il a même dit que mes enfants iraient chez lui ou dans une autre mission, que je serais obligé de les donner. Mais il ne les aura pas ; je préfère les voir mourir. Il me vole mes collines, il me prend mes gens, il me prend mon autorité et il voudrait mes enfants pour que plus tard ils méprisent leur père et leur mère, ça jamais.

Est-ce que je suis le sultan du Ruanda pour travailler pour les Pères ou est-ce que je suis le Roi des Noirs pour les faire travailler pour moi et pour le Bulamatari ?

Au sujet de Guillaume, Musinga ajoute : Quand il a été enlevé d’Ilange, j’ai voulu lui rendre la moitié d’une colline comme avant. Le Capitaine Dupuis ne l’a pas voulu ; il m’a obligé à lui donner toute la colline. J’ai protesté, je ne voulais pas donner autant à un homme comme SEREFUGI. On m’y a obligé en disant que c’était pour le récompenser de son travail. Il n’a pas travaillé pour moi ; il a travaillé pour le Père et c’est moi qui dois le récompenser. Je suis mis en dessous de ce Muhutu Kabisa. Tant qu’il gardera toute la colline qu’il a eue malgré moi, mes gens diront que je suis obligé de faire la cour à ce Muhutu duquel j’avais eu pitié autrefois.

Le Père Huntziger fait la chasse à tous les Watutzis qui ne se plient pas à sa volonté et qui ne font pas tout ce qu’il veut. Tu vas voir, je vais faire venir quelques gens et les autoriser à se plaindre de ce qu’a fait un catéchisme[65] du Père. Et bien tu serais étonné de savoir le nombre des exploités. Je te l’ai déjà dit, le Père prend de force les enfants et mes gens.

Musinga se plaint que le nommé Lutare Siméon, homme du Père, est chargé de surveiller toute la région de Kabera ; il a installé son boma[66] au village de Maraba et commande le territoire de Ibachumba qui avant était à Kabera ; c’est lui qui ordonne tout et qui renseigne au Père ceux qui ne se prêtent pas à ses combinaisons. C’est un Muhutu Kabisa devenu chef par nomination du Père. Musinga se plaint que tous, grands et petits, donnent par peur, des vaches à la mission d’Issawi. Le nombre de têtes de bétail doit être très grand, le Père en confie aux chrétiens.

Le nommé Lugniragugu Paul a pris, de force et en frappant, 8 vaches au nommé Lussesabagina parce que ce dernier ne donnait pas son enfant.

Déclarations de KITATERI[67], fils de Rwangeo.

Le nommé Paul Lugniragugu, catéchiste du Père, est venu chez moi et a voulu que je lui donne mon enfant. Je n’ai pas voulu. Alors il m’a pris deux vaches de force. Comme je tenais à ces deux vaches, je suis allé le trouver et je lui ai demandé qu’il me rende mes vaches, que je lui ferais cadeau d’une autre vache ; il a gardé la troisième vache ainsi que les deux premières. Il est revenu chez moi et m’a enlevé une quatrième vache. Puis il s’est fait amis (sic) avec mon boy et ce dernier s’est sauvé chez Paul avec deux vaches que je lui avais confiées. A présent Paul a 8 vaches et mon boy. Je n’ai jamais osé réclamer parce que je savais que tôt ou tard c’est moi qui serait puni, et que le Père pour venger son homme trouverait bien quelque chose pour me faire mettre en prison.

Déclarations du nommé Lusesabagina.

Le nommé Paul Lugniragugu est venu chez moi et a voulu prendre mon enfant pour le mettre à la mission d’Issawi ; je n’ai pas voulu en disant que mon enfant était malade. Alors Paul m’a pris une vache ; je lui ai dit de me rendre la vache. Deux jours après, il est venu me prendre deux vaches. Comme je protestais, il m’a frappé avec un bâton sur la tête et sur les mains en me disant : je te frappe devant ta femme pour qu’elle puisse voir que c’est parce que tu ne veux pas donner ton enfant. Moi je n’ai osé rien dire. Quelques jours après, Paul est revenu et il m’a enlevé six vaches à la fois ; il m’a de nouveau frappé.

Je suis allé trouver le Père d’Issawi en lui apportant un pot de miel. Il m’a fait entrer dans une chambre et quand j’ai porté plainte contre son chrétien, il m’a dit : vous autres Watutzis, vous êtes de mauvaises gens. Vous ne vous souvenez pas que c’est Lugniragugu qui vous a sauvé des mains des Blancs du Bulamatari et maintenant vous lui rendez le mal pour le bien. Avant de venir me trouver vous deviez aller trouver Paul, et lui dire que vous veniez réclamer contre lui. C’est à lui à me venir expliquer la chose et pas à vous. Puisque vous réclamez contre mon chrétien je ne veux pas votre miel, allez-vous en avec.

Alors j’ai tellement eu peur d’aller en prison que je n’ai plus osé réclamer mes vaches.

Quelques jours après le Père m’a fait appeler et m’a dit : Voici un chrétien, le nommé Lukabulambuka, prenez le chez vous et donnez lui une telle de (sic) bananeraie qui n’est à personne. Je n’ai pas osé refuser, j’ai pris cet homme et je lui ai donné un champ. Le Père a envoyé Paul pour voir si j’avais donné ce champ. Alors je suis venu à Nyanza. Pendant mon absence le Père est allé chez moi et a monté jusqu’au dessus de la colline. Là il a dit : Tout ce qui est du côté droit du chrétien doit lui obéir, tout ce qui est de l’autre doit obéir à Lusesabagina. Le côté donné à ce chrétien Muhutu est le côté où est la source où allaient mes vaches. Le chrétien m’a défendu de passer sur son territoire. Une fois deux de mes chèvres ont dépassé la limite tracée par le Père, et le chrétien les a tuées. J’ai eu peur de porter plainte car je savais que j’aurais tort.

Déclaration du Niabuchengera. – Colline de Kakusumba

Le nommé Paul Lugniragugu a pris mes gens pour travailler chez lui. J’ai donné une vache à Paul pour qu’il me rende mes gens, mais il a gardé ma vache et mes gens. Quand vint le poste d’Ilange, il a eu peur, il m’a rendu mes gens et a gardé ma vache. J’ai eu peur de porter plainte.

Musinga se plaint que Sesikeye, lors de l’arrestation de son fils et de son envoi à Kigali, le nommé Guillaume lui a dit : donne-moi deux vaches car quand ton fils sera de retour de Kigali, je trouverai bien [un] moyen de l’envoyer dans une autre région. Alors de peur pour son fils, Sesikeye a donné deux vaches laitières à Guillaume. Musinga déclare qu’il y a des douzaines de cas semblables. Il termine en assurant tout son dévouement au Bulamatari, et en demandant la protection contres les manœuvres du Père d’Issawi. Il demande de pouvoir punir ceux qui pour des questions de vaches ou de collines se rendent chez le Père au lieu de venir chez lui ou chez un Blanc de l’Etat. Il demande à ce que le Père ne fasse plus de pression sur ses gens et à ce qu’il ne s’occupe plus des affaires du pays. Il déclare qu’il laissera absolument libre ses gens, mais en échange qu’on les laissent (sic) libres également. Il insiste pour qu’on laisse ses Watutzis vivre en paix chez eux sans les soumettre aux hommes des Pères.

Je certifie que ces déclarations m’ont été faites.

Nyanza, le 24 Mars 1918

Le Chef de Poste

(Se) Defawe

Pour copie certifiée conforme

Le Résident du Ruanda[68]

Dillens [ ?]


[1] « Musinga et les Missions : Rapport politique confidentiel », Lettre de Mr Defawe du 24 mars 1918 à Major Declerck, A.G.M.Afr., N° 111380-111383.

[2] Désignées par l’abréviation « A.G.M.Afr. ».

[3] I. Linden, Church and revolution in Rwanda, Manchester, 1977, 304 pp. Le livre a été traduit en français avec l’aide des Pères Blancs. Le texte de la traduction a été modifié et corrigé. Un chapitre a été même ajouté avec cette particularité que son style et son approche sont différents des autres chapitres.

[4] I. LINDEN, Christianisme et pouvoirs au Rwanda (1900-1990), Paris, 1999, 438 pp.

[5] En marge du rapport, une personne a écrit : « Diatribes contre Belges, Mission d’Issavi et surtout contre le P. Huntziger. Tout n’est pas faux. Huntziger fut aussi dénoncé par P. Classe et renvoyé en France ».

[6] I. Vijgen, Tussen mandaat en kolonie. Rwanda, Burundi en het Belgische bestuur in opdracht van de Volkenbond (1916-1932), 2005, Leuven, 279 pp.

[7] « Le Ruanda a été secoué par cette guerre. Beaucoup de missions souffrent ; Nyundo, Murunda, Kabgaye sont même menacées d’une ruine presque complète. Mibirisi, Ruasa même, souffrent aussi beaucoup ; Kigali ne donne rien » (Lettre du Père Huntziger du 25 mars 1917 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 112016 bis).

[8] A. Des forges, Defeat Is the Only Bad News, Rwanda under Musinga, 1896-1931, London, 2011, 306 pp.

[9] « Mwami » : roi.

[10] P. LefèvreJ.-N. Lefèvre, Les militaires belges et le Rwanda (1916-2006), Bruxelles, 2006, 239 pp.

[11] Mr Oscar Anthème Defawe est né le 2 octobre 1891 à Ougrée près de Liège en Belgique. Ses parents étaient François Joseph Defawe et Marie Catherine Amandine Moers. En septembre 1914, il quitte ses parents, qui vivent alors à Pamiers, en France. Il devient volontaire de guerre. Il traverse les lignes allemandes et s’engage à Anvers le 18 septembre 1914. Il devient sous-lieutenant auxiliaire à Bayeux en 1915. Officier auxiliaire de la Colonie à Mombassa en avril 1916, il passera dans les rangs de l’administration coloniale après la campagne d’Afrique, d’abord au Rwanda et puis au Burundi. En 1928, il est commissaire de district du Burundi. Puis il revient à la vie civile, pour diriger le groupe Empain à Bujumbura (société Platarundi). Il meurt en 1952 (Voir la généalogie de la famille Defawe, http://www.defawe.com/gedcous/fr/Gedigfr2.html).

[12] I. Vijgen, « Kerk en overheid in de mandaatgebieden Ruanda-Urundi (1916-1932) », in TRAJECTA, n° 16, 2007, pp. 51-70.

[13] « Missionnaires : Ils sont considérés dans le territoire comme porteurs de l’instruction et comme gardiens de la moralité. On loue en eux qu’ils sont accessibles à tous sans distinction : tout indigène les approche sans crainte ni méfiance ; même la dernière pauvrette, un enfant, cause avec eux sans appréhension. C’est sans conteste pour cela qu’ils sont au courant du jeu des confidences et d’intrigues ; jeu qui est facilement découvert parce que tout le monde est admis à parler. De plus, les missions ont leurs réunions régulières d’anciens qu’ils consultent avant d’agir pour la progression de leur ministère. » (A. SERVRANCKX, Territoire d’Astrida. Extrait du rapport de sortie de charge du 26 septembre 1933, University of Florida Digital Collections (UFDC), Africana Collection, N° 386-454, p. 65).

[14] S. Minnaert, « Les Pères Blancs et la société rwandaise durant l’époque coloniale allemande (1900-1916) : Une rencontre entre cultures en religions », in Les Religions au Rwanda, défis, convergences et compétitions, Actes du Colloque International du 18-19 septembre 2008 à Butare/Huye, Editions de l’Université Nationale du Rwanda, Septembre 2009, pp. 53-101.

[15] Il s’agit du Père Malet.

[16] Les lettres entre crochets sont des ajoutes de l’auteur.

[17] Explorateur de nationalité allemande, Richard Kandt (1867-1918) est le 1ier européen à s’installer au Rwanda. En 1899, il invite les Pères Blancs à fonder une mission au Kinyaga. Il est nommé résident impérial du Rwanda le 15 novembre 1907 (R. BINDSEIL, Le Rwanda et l’Allemagne depuis le temps de Richard Kandt, Berlin, 1988, p. 100 ; S. Minnaert, Mgr Hirth premier voyage au Rwanda : novembre 1899 – février 1900. Contribution à l’histoire de l’Eglise catholique au Rwanda, Kigali, Les Editions Rwandaises, 2006, 716 pp.).

[18] Lettre du Père Froberger du 16 mai 1910 à la Maison Généralice des Pères Blancs, A.G.M.Afr., N°098445 (traduit du latin).

[19] Les premiers Pères Blancs arriveront après 1916 (S. MINNAERT, Save – 1900 : Fondation de la première communauté chrétienne au Rwanda, Kigali, 2000, 120 pp.).

[20] « (…) Le Père Eschbach vient d’avoir un long entretien avec le R. Père Amrheim bénédictin qui est en communication directe avec le chancelier d’Allemagne. Ce dernier lui a donné connaissance de la carte de l’Equateur que Mgr Jacobini a bien voulu communiquer à Votre Eminence [Lavigerie] lors de son dernier voyage à Rome. (…) De plus, le R. P. Amrheim a dit au Père Eschbach que l’intention formelle du chancelier était de ne permettre que la langue allemande, et de défendre toute autre langue dans les possessions de l’Allemagne. Bismarck aurait déclaré en outre qu’il ne souffrira dans les possessions allemandes que des missionnaires allemands, c’est-à-dire, selon lui, des missionnaires dont le centre ou la maison centrale est en Allemagne. Toutefois, le P. Amrheim, parlant de cette volonté du chancelier, a dit au Père Eschbach que le docteur Pitter’s pouvait aisément faire changer les intentions du chancelier là-dessus, et laisser les missionnaires dont la maison centrale serait ailleurs qu’en Allemagne, pourvu que ceux-ci parlent allemand. Le Père Eschbach a eu l’air de me dire que pour eux, la chose ne souffrirait d’aucune difficulté, mais que pour nos Pères, ce serait peut-être différent, parce que Bismarck connaît trop le Patriotisme du Cardinal Lavigerie, qui a tant fait en Tunisie pour la France. Mgr Jacobini, touchant la même question ce matin, m’a dit que Bismarck laisserait nos Pères dans leurs missions, à condition qu’ils ne dépendraient que de la Propagande et non du Cardinal Lavigerie, (ce qui revient à peu près au même que le langage du P. Eschbach). Mais ce serait dans le cas où les Allemands pousseraient leurs possessions jusqu’au Congo Belge, comme me l’a dit Mgr Jacobini » (Lettre du Père Burtin du 18 mai 1887 au Cardinal Lavigerie, A.G.M.Afr., 7021, Copie de E.- 5, T.1035).

[21] « Issavi » ou Save.

[22] Lettre du Père Huntziger du 12 novembre 1913 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 112014 bis.

[23] Le Major, victime d’un accident de chemin de fer, meurt à Durban (Afrique du Sud) le 30 juillet 1919.

[24] I. LINDEN, Christianisme et pouvoirs au Rwanda (1900-1990), Paris, 1999, p. 179.

[25] Il a administré le territoire de Nyanza du 1ier octobre 1917 jusqu’au 10 mai 1920 et puis du 1ier avril 1921 jusqu’au 10 juillet 1921 (Rapport établi en réponse au questionnaire adressé en 1929 par Mr le Gouverneur du Ruanda – Urundi à l’Administrateur du Territoire de Nyanza, Mr Lenaerts, p. 14. – http://ufdc.ufl.edu/ AA00002255/00001).

[26] I. Vijgen, « Kerk en overheid in de mandaatgebieden Ruanda-Urundi (1916-1932) », in TRAJECTA, n° 16, 2007, pp. 51-70.

[27] « Nous lançons une plainte à Nyanza pour un individu, père de catéchumènes, pillé par le beau-père de M. Defawe, qui en 1921 a reçu le village de Nyanza à Kw’Ichuliro. Ce chef se nomme Ruzigana. Lorsqu’il a hérité de ce village, il a voulu mettre de côté tout ce qui était du parti de l’ancien chef, Munyakigeri, frère de Kayondo, et en particulier un certain Lwerekana, sous-chef de Munyakigeri » (A.G.M.Afr., Journal de la mission de Kabgayi, 17 janvier 1924).

[28] « MM. Defawe et Godard viennent nous saluer de Nyanza. Mr Godard est en route pour l’Europe. Mr Defawe partira lui aussi après le passage de Mr le Ministre des Colonies : son arrêt est irrévocable dit-il (…) » (A.G.M.Afr., Journal du petit séminaire de Kabgayi, 5 février 1920). « Mr Defawe n’est pas très content de partir de Nyanza, d’autant plus que c’est Musinga lui-même qui a demandé son départ. » (A.G.M.Afr., Journal du petit-séminaire de Kabgayi, 22 septembre 1921).

[29] « Il paraît authentique qu’un indigène, à la faveur des ténèbres, aurait tiré deux flèches sur un soldat noir congolais à Nyanza. Les flèches étaient destinées, dit-on, à M. Defawe auquel il aurait eu affaire quand il les décocha » (A.G.M.Afr., Journal de la mission de Kabgayi, 13 janvier 1920).

[30] Lettre de Mgr Gorju du 25 octobre 1924 au supérieur général, le Père Voillard, A.G.M.Afr., N° 251024.

[31] « Le roi envoie cinq vaches stériles pour les enfants du Séminaire. Le bon Monsieur Defawe, administrateur à Nyanza y est bien pour quelque chose pour lui avoir suggéré cette excellente idée. (…) » (A.G.M.Afr., Journal du petit-séminaire de Kabgaye15 mai 1918). « Mr Defawe nous envoie en cadeau de 500 kg de haricots pour refaire les joues… !!! » (A.G.M.Afr., Journal du petit-séminaire de Kabgayi 16 mai 1919).

[32] « Ferdinand Buhire part à Nyanza pour remplacer son vieux père appelé à la corvée du Roi. On lui remet une lettre pour Mr Defawe, administrateur de Nyanza » (A.G.M.Afr., Journal du petit-séminaire de Kabgayi, 29 novembre 1919). « Ferdinand nous revient ce soir grâce à Mr Defawe (…). Dans la suite, si un cas semblable se présente, c’est bien simple : que le fils m’écrive ou le père vienne me trouver. Il remet 16 fr à Ferdinand pour payer une bête pour notre jeunesse » (A.G.M.Afr., Journal du petit-séminaire de Kabgayi, 30 novembre 1919).

[33] Comme commandant de la 12ème compagnie du 2 T.A, Mr Defawe participe à la campagne de guerre du 28 août 1939 au 28 mai 1940. Jusqu’au 14 juin 1940, il sera prisonnier à Sluis. Puis il aide les évasions de Belges qui veulent rejoindre l’Angleterre. En septembre 1941, il est détenu comme suspect de détention d’armes pendant 15 jours dans la cellule 229 à la prison de Saint-Gilles. Il est relaxé par faute de preuves. Il est alors recruté par Charles Woeste pour du renseignement et la collecte d’armes. Il devient un collaborateur de Jean Greindl, Gaston Bidoul et Jean d’Ursel. Sur le point d’être arrêté par les Allemands, Jean Ingels lui procure des faux-papiers. Il part en train pour l’Espagne. Il loge à Bilbao chez Edouard Chaumont. Luis Lizarrituri, l’homme de la Sûreté à San Sebastian le signale à Lisbonne le 2 mai 42 avec deux autres Belges. A trois, ils traversent à pied la frontière portugaise sans sauf-conduits. A Lisbonne, il passe la « visite médicale » le 19 mai. Il parvient à Gibraltar le 28 mai suivant. Arrivé à Glasgow le 12 juillet 1942, les autorités lui font rejoindre le Congo Belge. Il embarque à Liverpool le 3 septembre et débarque au Congo le 29 octobre 1942. Il arrive à Elisabethville le 30 octobre, où il reprendra un commerce industriel. Il meurt en 1952 laissant comme héritier son fils Jacques (Dossier Archives Notariales Défense – Dossier matriculaire OO-22497 et résistant II 41611 – http://www.cometeline.org/ficheB017.html).

[34] S. Minnaert, « Un regard neuf sur la première fondation des Missionnaires d’Afrique au Rwanda en février 1900 », in Histoire et Missions Chrétiennes, N° 8, Editions Karthala, Décembre 2008, pp. 39-66.

[35] A. BRARD, Notes proposées à Mgr Livinhac à l’occasion du Chapitre Général de 1906, A.G.M.Afr., N° 095349.

[36] « Vos graves difficultés du commencement du Ruasa me préoccupent bien aussi ; cependant j’ai confiance en votre prudente réserve ; vous saurez bien vous entendre avec le P. Paul [Barthélemy], et vous arranger pour ne pas ébruiter ce qui doit rester pour toujours dans l’ombre. Dirigez en même temps vos conversions elles-mêmes de manière à amadouer peu à peu les gens qui seraient plus exposés à porter plainte contre vous. Je sais que tout cela est plus facile à dire en théorie qu’à exécuter en pratique. A partir de maintenant au moins, n’ayez jamais à sévir et ne vous créez que des amis. Ne faites pas de mécontents avec les bois de votre église » (Lettre de Mgr Hirth du 25 mars 1908 au Père Loupias, supérieur de la mission de Rwaza, A.G.M.Afr., N° 098031). Cette lettre montre que Mgr Hirth était au courant des guerres organisées par le Père Classe et ses confrères à Rwaza en 1904.

[37] L’utilisation de la violence sous toutes ses formes est un sujet difficile à aborder chez les Pères Blancs. Le problème existait déjà à l’époque de leur fondateur Cardinal Lavigerie : « (… ) Je n’ai pas d’observations à faire, sinon que j’ai appris ici par Golio, que la mort des enfants nègres de Malte peut être attribuée aux brutalités atroces dont ils sont l’objet de la part de quelques Pères. Il me paraît certain, d’après le récit de Golio, qui m’a été fait d’une manière tout à fait naïve, que le pauvre petit Tanten a été ainsi tué et que les Pères l’ont laissé mourir de manière la plus atroce ; cet enfant se tordant dans des douleurs causées par les coups durant une nuit entière, et eux niant qu’il fût malade jusqu’à ce qu’enfin ils le virent à l’agonie » (Lettre de Mgr Lavigerie 30 novembre 1884 au Père Bridoux, A.G.M.Afr., 1441, C. 2-24).

[38] A.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, 29 août 1914.

[39] A.G.M.Afr., Lettre du Père Huntziger du 25 mars 1917 à Mgr Livinhac, N° 112016 bis.

[40] « La situation n’était guère intéressante [à Nyundo], surtout pour un Français. A quelques kilomètres se trouvait le poste allemand de Kisségnie et en face le poste belge. Les Pères de la mission de Lubenga (Tongres-Sainte-Marie) crurent bon de m’avertir en septembre que sous peu les troupes belges viendraient occuper le Ruanda » (A.G.M.Afr., Lettre du Père Huntziger du 25 mars 1917 à Mgr Livinhac, N° 112016 bis.

[41] A.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, le 2 juin 1916.

[42] « M. le Major Declerck, Résident du Rwanda (…) demande à Musinga pour la fin du mois 1 000 porteurs qui seront expédiés à Kigoma pour les troupes en campagne… Toute la région est bouleversée ; personne ne veut aller à Tabora et cela se comprend. Pour la plupart c’est la mort. Les chefs en profitent pour chasser pas mal de gens de leurs champs, ce qu’ils n’avaient plus fait depuis une année. Grâce aux bonnes relations nos chrétiens seront épargnés » (A.M.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, Mai 1917).

[43] D’après le Père Huntziger, le conflit aurait été provoqué par des disputes suite aux « réquisitions exorbitantes de nourriture » organisées par Mr Defawe. Et il ajoute : « il saura le faire sentir ! » (A.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, Janvier 1918).

[44] A. Des forges, op.cit., p. 141.

[45] A.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, Janvier 1917.

[46] A.G.M.Afr., Journal de la mission de Save, 5 avril 1918.

[47] Ibid.

[48] Lettre du Père Gorju du 2 août 1919 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 112428-112438.

[49] « Sur les instances du colonel Olsen, j’ai pris à Issavi les fonctions de chef de poste ou d’administrateur pour le ravitaillement des troupes. Il fut vite évident que, grâce au contrôle, le fléau de la famine qui commençait à sévir horriblement ailleurs par suite du désordre qui régnait dans le pays où les troupes saccageaient tout, et justement parce qu’elles ne savaient à qui s’adresser pour le ravitaillement (comme cela s’est passé par ex. à Nyundo) allait être évité à Isavi et à toute la riche et populeuse région avoisinante. Ce rôle d’administrateur temporaire a donc été éminemment utile au Ruanda, et ainsi des milliers d’indigènes, chrétiens ou autres, ont été arraché à la mort, deux missions Issavi et Nyaluhengeri sauvées de la ruine, et je ne crois pas que personne puisse le contester. J’aurais dû cesser ces fonctions plutôt et là j’ai manqué de flair, des indigènes en qui j’avais mis ma confiance m’ont trompé, un capitaine belge l’a berné; on peut hélas me le reprocher ; mais qu’on ne dise pas que j’ai employé la violence. Quant au bruit répandu jadis que la mission d’Issavi souffrirait de ces difficultés qu’un simple mot aurait dissipé, il est tombé de lui-même. En 1915 quand j’y suis arrivé, la mission était très basse. Beaucoup de chrétiens par ignorance avaient cessé de fréquenter les sacrements, le catéchuménat s’éteignait, et pas un seul mutusi n’avait l’idée qu’il pourrait être baptisé. Depuis un relèvement très sérieux s’est opéré tant dans le catéchuménat que chez les chrétiens, un groupe important de jeunes batusi qui suivait les catéchismes au moment de mon départ, a tenu bon jusqu’au baptême inclusivement. Parmi eux se trouve un propre neveu du roi. Vous pouvez demander confirmation au P. Ecomard. Aussi je ne cesse de croire qu’on a voulu tout exagérer, alors qu’au moment opportun il eut été si facile de tout arranger. Vous allez dire, mon révérend Père, que je réveille des choses bien anciennes ; c’est simplement pour vous demander de ne pas mettre en avant un prétendu usage de procédés violents que j’ai toujours reniés » (Lettre du Père Huntziger du 28 mars 1925 au supérieur général, le Père Voillard, A.G.M.Afr., N° 280325).

[50] En marge du rapport : « Diatribes contre Belges, Mission d’Issavi et surtout contre le P. Huntziger. Tout n’est pas faux. Huntziger fut aussi dénoncé par P. Classe et renvoyé en France ».

[51] « Mungu » : mot kiswahili qui signifie « Dieu ». Les Banyarwanda utilisent le mot « Imana » pour désigner Dieu.

[52] « Boulé » : du mauvais.

[53] Le mot « Bulamatari » ou « Bula Matari » signifie « casseur de pierres ». C’est le surnom africain de Stanley. Il désignera plus tard l’administration coloniale belge.

[54] « Baruas » venant du mot kinyarwanda « amabarwa », ce qui veut dire « lettres ».

[55] « Mutwale » mot kinyarwanda qui signifie « chef ».

[56] « Kabisa » est un mot kiswahili qui veut dire « complètement, entièrement, totalement ».

[57] Il s’agit probablement d’une mauvaise écriture du mot kiswahili « ndugu », ce qui veut dire amis.

[58] Il s’agit de Mwanza en Tanzanie.

[59] Il s’agit du Capitaine Philippin. Assisté du sous-lieutenant Smets, il a administré le territoire de Nyanza du 30 septembre 1916 jusqu’au 1ier avril 1917.

[60] Ce qui veut dire, « en langue du pays ».

[61] « Pombe » : de la bière.

[62] Lisez : «  de rester fidèles à ma religion ».

[63] Il s’agit du Père Alphonse Brard (1858-1918).

[64] Le successeur du Père Huntziger, le Père Ecomard, homme de confiance du Père Classe, confirme les accusations de Musinga : « Le départ du Père Huntziger m’a appelé à cette date à Issavi où Monseigneur Hirth crut bon de me nommer. La mission de Nsasa où je vécus trois ans était certes plus facile à diriger que celle d’Issavi. Ici je trouvais trois mille et quelques chrétiens, inconnus, puisque je n’avais jamais vécu à Issavi. Dans le passé, maintes difficultés étaient survenues entre Nyanza, la capitale du Ruanda, et la mission d’Issavi. Je dois ajouter sans vouloir les léser en rien, il me semble, la vérité que mon prédécesseur n’eut pas vis-à-vis de l’autorité indigène l’attitude que nécessitait son rôle de missionnaire. Certains parmi nos chrétiens s’étaient permis vis-à-vis des chefs une attitude et des manières de faire absolument répréhensibles. D’aucuns ont dû en être punis, je ne soutiendrai pas qu’ils l’ont été à tort, bien au contraire, il me semble. De plus, je suis persuadé après m’en être rendu compte, que le renouveau qui s’était fait remarquer parmi nos néophytes, ces deux dernières années surtout, n’avait point pour cause des manières de faire suffisamment apostoliques. C’est du moins ce que j’estime, persuadé que je suis, que rigueurs et violences peuvent rendre dociles et cachottiers, mais n’avancent guère les progrès de la foi. Soyez persuadé, Monseigneur et vénéré Père, qu’en vous disant ceci, je prétends ne point céder au plaisir de dénigrer, mais vous déclarer la vérité telle qu’elle m’apparaît. Du reste une carte de visite bien formelle datée de 1916 du Révérend Père Classe montre que le mal avait été constaté et que l’autorité ecclésiastique y apporta des remèdes que l’on ne prit point assez en considération : les procédés d’apostolat y sont hautement réprimés. Les a-t-on abandonnés aussitôt que l’autorité ecclésiastique les eut blâmés, ce n’eut été que très normal, et je crois qu’on ne l’a pas fait » (Lettre du Père Ecomard du 30 décembre 1918 à Mgr Livinhac, A.G.M.Afr., N° 112017-112018). En 1921, pour remplacer Mgr Hirth comme vicaire apostolique du Rwanda, Mgr Livinhac, supérieur général des Pères Blancs, présentera trois candidats auprès de la Congrégation de la Propagande de la Foi à savoir le Père Classe, le Père Ecomard et le Père Delmas.

[65] Celui qui a transcrit le rapport a probablement commis une erreur. Au lieu de lire « catéchisme », il faut lire catéchiste.

[66] « Boma » : habitation.

[67] Il s’agit d’une mauvaise transcription du nom du chef Kitatire.

[68] Il s’agit du Major Declerck.

4 thoughts on “Musinga et les Peres Blancs : Rapport politique confidentiel du 24 Mars 1918

  1. Pingback: Voyages Pas Cher Au Départ De Bruxelles | affairspa.com

  2. Pingback: Voyage Organisé Au Japon Pas Cher | cardebtor.com

  3. Pingback: Voyage Tunisie Pas Cher Avril 2013 | bitcareers.com

  4. Pingback: Voyage Tunisie Pas Cher Avril 2013 | hotel2etoiles.tk

Leave a comment