« Rwanda. L’histoire secrète » de Abdul Joshua Ruzibiza ou Mensonges made in France?

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Présentation de Jacques Morel

Alors que les témoignages accusant Paul Kagame et le FPR d’avoir commis l’attentat contre l’avion d’Habyarimana se voulaient nombreux et convergents, c’est le témoignage tardif d’Abdul Ruzibiza qui sert de pivot aux accusations du juge Bruguière. Son livre « Rwanda, l’histoire secrète » préfacé par Claudine Vidal, directrice de recherche au CNRS, postfacé par André Guichaoua, professeur de sociologie à la Sorbonne, jouirait donc d’une caution « juridique, scientifique et universitaire » française.1

Pierre Jamagne nous soumet dans l’article qui suit une analyse critique de quelques points majeurs du livre de Ruzibiza. Il a séjourné à Kigali de décembre 1991 à avril 1994. Il y a vécu la montée vers le génocide. Il était coopérant belge en charge de la cartographie des sols et il a réalisé entre autres la cartographie des sols de la colline de Masaka, et, hasard du calendrier, il avait choisi cette colline pour une randonnée qui devait avoir lieu dimanche suivant le 6 avril. Il s’y est rendu deux fois dans les deux semaines précédant l’attentat contre l’avion présidentiel pour baliser l’itinéraire de la randonnée. Il a fui le Rwanda au début du génocide, le 11 avril.

Dans l’article qui suit, Jamagne, prenant en compte plusieurs écrits et déclarations de Ruzibiza montre qu’un certain nombre de ses affirmations sont invraisemblables, contradictoires ou fausses. En particulier son récit de l’attentat du 6 avril 1994, qui est, selon Claudine Vidal page 26, « le plus précis de ceux qui furent jusqu’à maintenant rendus publiques par les dissidents du FPR » n’est pas crédible, estime Jamagne, et semble sorti tout droit de son imagination. C’est à tel point que Ruzibiza ne dit pas ce qu’il faisait ce soir là du 6 avril 1994 à Masaka et comment il en est reparti. Une rescapée l’ayant entendu parler à la BBC rap-porte qu’il ne sait même pas bien prononcer le nom Masaka, lieu d’où seraient par-tis les missiles qui ont abattu l’avion. Colette Braeckman qui le rencontra en mai 2003 à Kampala, avant qu’il soit entendu par le juge Bruguière, note « qu’il s’embrouillait notamment dans les lieux [du tir des missiles] et dans l’accès au site ».2 C’est bien là les symptômes d’un récit fabriqué. Et le juge Bruguière a abondé dans ce sens en ne le faisant pas arrêter.

 

Sommaire

Le lecteur pourrait déduire qu’hormis les points contestés par Jamagne, le reste des affirmations de l’ouvrage serait exact. Les accusations de Ruzibiza contre le FPR sont tellement nombreuses qu’il n’est pas possible de les examiner une à une. Il ne saurait d’ailleurs être question de réfuter toutes les affirmations sur des exactions de l’APR, l’armée du FPR. Face à la passivité de la MINUAR devant les massacres des Tutsi et des partisans des accords de paix, puis à son quasi-retrait le 21 avril, face à la fuite des militaires français, belges et italiens, l’APR a été la seule force à s’opposer aux génocidaires, soutenus en sous-main par leurs amis français. Les soldats de l’APR n’ont pas arrêté les tueurs en faisant « ami, ami ». Ils leurs ont tiré dessus. Beaucoup de ces tueurs étaient en civils. Associés à ces tueurs, il y avait les pilleurs et même des femmes et des enfants qui détroussaient les cadavres. Rappelons aussi que des miliciens se cachaient dans la brousse et que des actions sur les arrières de l’ennemi ont été pratiquées par les FAR. L’ex-capitaine Barril a été envoyé pour reconstituer des CRAP3 et l’agenda de Pauline Nyiramasuhuko publié précisément par André Guichaoua nous en donne la preuve en date du 20 juin :« Opération insecticide dans les arrières. »4 Dans ce contexte, que le FPR ait rassemblé la population et lui ai fait subir des interrogatoires semble être une conduite prudente. Il est vraisemblable que les troupes du FPR aient fait par endroit des carnages. Ainsi le massacre en commune de Mukingi (Gitarama) le 19 juin dont l’auteur, le major Bigabiro fut jugé,5 mais Ruzibiza en parle à peine (p. 303).

Il affirme que sur l’ordre direct de Paul Kagame les massacres de Hutu ont été exécutés systématiquement par l’APR et que les cadavres ont été brûlés. De telles accusations ne trouvent pas d’écho dans les articles de reporters sur le terrain à cette époque en particulier Jean Hélène du Monde, connu pour n’avoir aucune sympathie pour le FPR. Dans son article du 4 mai 1994 :« Fuyant les massacres qui se poursuivent, 250.000 Rwandais ont trouvé refuge en Tanzanie », écrit à Rusumo, il ne se laisse pas abuser comme le HCR et reconnaît que cette fuite des Hutu devant « l’avancée des maquisards » est organisée et qu’ils ne sont pas « en mauvais état ». Il ne parle pas de personnes ligotées jetées dans l’Akagera par les soldats du FPR, ni de 4.000 autres massacrées (Ruzibiza, 30 avril-1er mai, pp. 289-290). Dans son article du 18 juin « D’où viennent les armes au Rwanda ? » il ne met en cause le FPR en zone libérée que pour ces camps où il sou-met les gens à des « séances d’éducation qui rappellent, à tort ou à raison, “un certain Cambodge” ». Ce n’est que le 7 septembre dans « Vengeances rwandaises » qu’il parle d’exécutions sommaires, d’enlèvements de massacres, de représailles qui incriminent les« vainqueurs de la guerre civile ». Et encore là, Jean Hélène, après avoir cité des témoignages sur des exactions, a la prudence d’écrire qu’ils « donnent de la crédibilité aux incessantes rumeurs d’exactions et d’enlèvements commis par l’APR. »

Une étude statistique sur 1248 familles rurales de 1992 à 2000 dans les préfectures de Gitarama, Kibuye et Gikongoro a démontrée que la thèse du « double génocide » accusant le FPR d’avoir massacré des Hutu visés en tant que tels, thèse soutenue ici par Ruzibiza et ces deux parrains français était fausse.6 Au demeurant, les Français sont assez mal placés pour juger du comportement du FPR dans les les régions qu’il a libérées des tueurs, alors qu’ils n’ont pas mis en cause leurs gouvernants pour l’aide apportée par la France à ces tueurs.

Revenons encore à la personne de Ruzibiza. Qui est-il ? Selon des informations en provenance du Rwanda, il était infirmier dans l’APR.7 Début avril 1994, il était à Butaro, commune de l’ex préfecture de Byumba. C’est loin de Kigali. Selon Colette Braeckman, il a été pris en charge par la DGSE lors de l’opération Artemis en juin 2003 et amené en France.8

Est-il sincère ? Dans son livre il ne dit pas qu’il a fait de la prison pour détournement d’argent, c’est Claudine Vidal qui l’affirme dans la préface. Soulignons que c’est après avoir été condamné pour des détournements d’argent qu’il quitte le Rwanda et se met à dénoncer le FPR et Kagame. S’il avait été cohérent avec les accusations qu’il porte contre l’APR, n’aurait-il pas dû démissionner de l’APR bien plus tôt ?

Ruzibiza a-t-il écrit ce livre seul ? Claudine Vidal se pose cette question quand elle reçoit ce livre en version électronique en février 2005. Après s’être rendue auprès de Ruzibiza à Oslo en compagnie d’André Guichaoua elle conclut « Ruzibiza était bien l’unique auteur du document »(p. 15). Mais Vidal ajoute plus loin qu’elle a repris le texte et ajouté des notes (p. 19). Quant à Guichaoua, il nous dit que Ruzibiza a été auditionné par des enquêteurs du TPIR en avril 2002 (p. 453) – ces enquêteurs sont probablement des défenseurs des accusés –, que Bruguière a auditionné Ruzibiza en juillet 2003 (le 3). Guichaoua a des échanges téléphoniques avec Ruzibiza puis va le retrouver en Norvège durant 3 jours à la midécembre 2003 (p. 454). Il ne donne pas la date de début de ces échanges téléphoniques mais comme il nous dit connaître la substance de l’audition de Ruzibiza par Bruguière il y a lieu de penser que cette date est antérieure à l’audition de Ruzibiza par le juge. Guichaoua nous fait supposer qu’il travaille à la défense d’officiers des ex-FAR accusés par le TPIR9 et qu’il a envoyé au juge Bruguière un dossier écrit par eux sur l’attentat :

Nos trois jours de rencontre [avec Ruzibiza en Norvège à la mi-décembre 2003] consistèrent en un jeu ininterrompu de questions-réponses partagées. J’avais moi-même été auditionné le 15 novembre 2002 dans le cadre de l’enquête du juge Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994. Je lui avais fait parvenir un dossier établi à Kigali par des officiers rwandais pour apporter la preuve de la responsabilité du FPR dans cet attentat. (p. 456)

C’est donc après avoir été instruit par ce dossier que Bruguière interrogera Ruzibiza qui en connaissait sans doute la teneur. Lors de ce voyage en Norvège, Ruzibiza demande l’aide de Guichaoua pour mettre en forme et exploiter sa documentation, donc écrire un livre (p. 457). Le texte publié sur Internet par Ruzibiza en 2004 serait donc coécrit avec Guichaoua. Puis celui-ci dit (p. 459) : « Nous avons travaillé ensemble sur le dossier des attentats commis au Rwanda envers les populations civiles au cours des années 1991-93. Je disposais de mon côté de nombreuses sources et de documents précis et détaillés établissant la responsabilité du FPR.[…] S’il [Ruzibiza] ne connaissait pas le détail des opérations, il connaissait parfaitement ceux qui les coordonnaient et il fut aisé de vérifier l’ensemble. » Guichaoua prend soin de nous dire en conclusion « il s’agit surtout d’un récit et d’un travail personnels », mais il vient de nous retracer « les quelques antécédents de la réalisation de cet ouvrage auxquels j’ai été associé. » (p. 459) Il nous paraît donc clair que ce livre a été coécrit avec Guichaoua, que celui-ci y a apporté non seulement une aide méthodologique mais aussi des témoignages et des documents collectés notamment auprès de militaires rwandais des ex-FAR accusés de génocide et contre qui le soldat Ruzibiza a combattu. Le livre a ensuite été soumis à Claudine Vidal qui l’a encore remanié. Enfin les notes de l’éditeur (NdE), témoignent que Géraldine Faes, proche de Stephen Smith, y a mis la quatrième main. Sans parler du mystérieux mécène qui a exfiltré Ruzibiza d’Ouganda vers Paris, a payé tous les voyages et assure gîte et couvert à ce dernier en Norvège, nous pouvons conclure que ce livre a tout d’une collaboration et pas grand chose à voir avec un écrit personnel ou un « Journal de campagne du lieutenant Abdul Ruzibiza » (p. 16). Nous retenons également que Ruzibiza a été contacté par des conseils des accusés à Arusha avant d’être auditionné par le juge Bruguière et que Guichaoua a remis à ce dernier la version des génocidaires sur l’attentat.

Quand nous voyons Claudine Vidal et André Guichaoua affirmer que c’est Kagame qui est l’auteur de l’attentat du 6 avril sur la base du témoignage « oculaire » de Ruzibiza, alors que nous constatons que ce sont eux et les défenseurs des accusés d’Arusha qui ont contribué à la fabrication de ce témoignage de Ruzibiza, ils font de la manipulation de témoin et ne prouvent rien.

Ces deux-là cautionnent donc la thèse du double génocide de Ruzibiza. Certes Claudine Vidal s’en distancie quelque peu en écrivant page 55 : « Je pense que la mise à mort des Rwandais tutsis et la mise à mort des Rwandais hutus sont des faits comparables mais non semblables. […] le FPR trouvait son compte à massacrer en masse les Hutus, tout particulièrement dans certaines régions, mais il n’a pas entrepris de tous les éliminer alors que, vis-à-vis des Tutsis, en 1994, l’intention exterminatrice était totale. » Nous apprenons même que le 12 avril est le début du génocide des Hutu (pp. 32, 259). Précisément le 13 avril, au Conseil restreint à l’Elysée, lorsque Mitterrand demande à l’amiral Lanxade « Les massacres vont s’étendre ? », celui-ci répond : « Ils sont déjà considérables. Mais maintenant ce sont les Tutsis qui vont massacrer les Hutus dans Kigali. »10 Ruzibiza aurait-il lu ce compte-rendu du Conseil restreint du 13 avril ? Une cinquième main à chercher au coeur de la grande muette a-t-elle aussi contribué à ce livre ? La Convention de 1948 contre le génocide n’est citée dans le livre que pour attester que les massacres de Hutus sont un génocide. Claudine Vidal et André Guichaoua, dont d’autres travaux sur le génocide sont à prendre en considération, font plus qu’un dérapage dans ce livre.

 

 

1. RÉSUMÉ

« Rwanda. L’histoire secrète », de Abdul Joshua Ruzibiza, est une attaque en règle envers le FPR et plus précisément envers le général Paul Kagame à qui il attribue l’attentat contre le Président Habyarimana ainsi que de nombreux massacres. Massacres dont il aurait été le témoin ou qui lui auraient été rapportés par d’autres témoins issus du FPR. Les évènements sont décrits avec une précision déconcertante (faits, dates, exécutants, donneurs d’ordre). Cependant la confrontation des faits décrits par Ruzibiza avec des éléments connus et d’autres témoignages de l’auteur me conduit à penser qu’il s’agit d’une tentative de falsification de l’histoire du Rwanda de 1990 à 1994. C’est cette analyse que je vous présente ci-dessous.

 2. QUI EST RUZIBIZA ?

Abdul Joshua Ruzibiza est un ex-militaire du FPR qui a fait défection en 2001 et s’est réfugié en Norvège. Il est aussi le témoin principal sur lequel se basent le juge Bruguière et certains auteurs comme Pierre Péan pour accuser le FPR d’avoir abattu l’avion du Président Habyarimana.

 3. CHRONOLOGIE SUCCINCTE

• 1990 : Ruzibiza rejoint l’armée du Front patriotique rwandais (FPR) (Rwanda. L’histoire secrète, p.9).

• 2 mai 1997 : Ruzibiza est incarcéré par la justice militaire rwandaise (Rwanda. L’histoire secrète, p.48).

• 5 juin 1999 : il quitte la prison (Rwanda. L’histoire secrète, p.48).

• 3 février 2001 : il fuit le Rwanda (Rwanda. L’histoire secrète, p.49).

• Mai 2003 : il rencontre C. Braeckmann à Kampala et lui propose de colla-borer pour la rédaction d’un livre (Commission d’enquête citoyenne, 2004).

• Juin 2003 : C. Braeckmann repasse à Kampala au moment de l’opération Artémis et apprend que les militaires français avaient embarqué Ruzibiza à Paris (Commission d’enquête citoyenne, 2004).

• 3 juillet 2003 : il est entendu par le juge Bruguière (Ordonnance JLB p.23).

• 14 mars 2004 : publication de son témoignage sur internet.

• Octobre 2005 : publication de son livre « Rwanda. L’histoire secrète » aux Editions du Panama.

• 9 et 10 mars 2006 : il témoigne au TPIR à la demande de la défense dans le Procès Bagosora et al.

 4. CONCERNANT L’ATTENTAT LE SITE DU TIR QUI A DONNÉ LE SIGNAL DE DÉPART DU GÉNOCIDE EST ÉTONNAMMENT PEU DOCUMENTÉ ET DÉCRIT.

Les passages relevés les plus précis concernant la description du site du tir sont repris ci-dessous:

« Je suis témoin direct pour ce qui s’est passé lors du lancement des roquettes SA-16, car j’étais sur place. Pour le reste, c’est-à- dire la planification, le transport des missiles de Mulindi (quartier général de l’APR) à Kigali ( au bâtiment du CND) et du CND à Masaka (site de l’attentat), je m’appuie sur des témoignages que les autres m’ont donnés ou également sur des conversations personnelles entre moi et les gens qui ont directement ou indirectement participé à l’une des étapes constituant l’opération dans son ensemble. » (Rwanda. L’histoire secrète p. 237).

« L’avion du président Juvénal Habyarimana ne pouvait donc être abattu qu’en phase d’atterrissage à l’aéroport de Kanombe. La colline de Masaka, non loin de l’aéroport, a été choisie comme offrant le meilleur emplacement de tir. »(Rwanda. L’histoire secrète p. 245).

« Le sous-lieutenant Frank Nziza, qui a abattu l’avion, s’est rendu à cet endroit deux fois : une fois le jour, une autre fois la nuit pour le repérage et la reconnaissance de l’endroit du lieu du tir. » (Rwanda. L’histoire secrète p. 246).

« Le jour de l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, la camionnette Toyota 2200, conduite par le sergent Didier Mazimpaka avait déposé les deux missiles à Masaka sur le lieu du tir. »(Rwanda. L’histoire secrète p. 248)

Discussion. Ruzibiza est présenté en préface de son livre comme un agent chargé de reconnaissance spécialisé en topographie et cartographie (p.28). Il dit avoir eu accès aux cartes topographiques du Rwanda (p.82)1, avoir été présent sur les lieux de l’attentat (p.237) mais curieusement, en contradiction avec son affirmation selon laquelle il donne des indications précises sur les endroits où ont été commis des forfaits, il ne fournit aucun plan, aucune carte, aucune description précise de l’endroit d’où ont été tirés les missiles, c’est-à-dire de l’évènement qui donnait le signal de départ du génocide. Il nous apprend seulement qu’ils ont été tirés de la colline de Masaka. Pour avoir des précisions sur le lieu du tir, il faut s’en référer aux écrits de Philippe Reyntjens et de Colette Braeckman. Et à en croire ces auteurs, les missiles n’ont pas été tirés de la colline de Masaka comme le dit Ruzibiza, mais du bas-fond longeant le nord de la colline, à proximité de la piste qui relie la route Kigali-Kibungo à la localité de Masaka [voir images 2 et 3]. Comme il prétend avoir été présent sur place, il aurait dû être l’auteur le plus précis concernant le lieu exact d’où les missiles ont été tirés.

 INCROYABLE ! EN ATTENDANT L’AVION PRÉSIDENTIEL, LE VÉHICULE QUI A TRANSPORTÉ LES MISSILES PASSE ET REPASSE PAR LE POINT DE CONTRÔLE DES FAR 2.

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (p.248) :

« Le jour de l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, la camionnette Toyota 2200, conduite par le sergent Didier Mazimpaka, avait déposé les deux missiles à Masaka sur le lieu du tir. Le véhicule a aussi fait plusieurs fois le tour du rond-point, ensuite il est sorti vers Remera. En attendant l’arrivée imminente de l’avion présidentiel, ledit véhicule effectuait des va-et-vient entre Kabuga-Nyagasumbu et la localité connue sous le nom de 15e (km). »

Discussion. Ce que l’auteur appelle la localité « 15e (km) » est en fait un lieu-dit qui s’appelle« Km 15 ». Il est situé à la jonction de la route Kigali-Kibungo et de la piste menant à Ndera (image 4). Ruzibiza oublie qu’un barrage permanent des FAR était établi entre « Km 15 » et les localités de Kabuga et Nyagasumbu, soit à hauteur de la jonction entre la route Kigali-Kibungo et la piste de Masaka4. Il était insensé pour le véhicule Toyota de passer et repasser par ce barrage, que ce soit avec ou sans missiles. Pourquoi le chauffeur aurait-il pris le risque de passer plusieurs fois au barrage des FAR ? A fortiori s’il transportait les missiles.

 LES MISSILES ARRIVENT SUR PLACE SEULEMENT UNE VINGTAINE DE MINUTES AVANT LE TIR !

Dans « Rwanda. L’histoire secrète », l’heure d’arrivée des missiles n’est pas précisée. Par contre de ses dépositions au TPIR des 9 et 10 mars 20065, on apprend que les missiles et les tireurs sont arrivés à Masaka vers 20h05 et tirés 17 à18 minutes plus tard.

Discussion. Il est peu crédible que pour une opération aussi importante, les missiles et tireurs soient arrivés si peu de temps avant le tir. D’autant plus que le retour de l’avion aurait été retardé de plusieurs heures (C. Braeckman, 1994, p.174). Selon l’ordonnance du juge Bruguière (p.50), il ressort de l’exploitation des bandes magnétiques de la tour de contrôle de l’aéroport de Kigali que l’arrivée de l’avion présidentiel était initialement prévue à 17 heures.

 LE NOMBRE D’IMPACTS VARIE EN FONCTION DES DÉCLARATIONS DE L’AUTEUR.

Il déclare au juge Bruguière que l’avion a été touché une seule fois (p.24 de l’ordonnance), tandis que dans son livre et dans sa déposition au TPIR du 9 mars 2006, il affirme que l’avion a été atteint deux fois. Comment expliquer que lui, proche témoin de la destruction de l’avion puisse varier à ce point dans ses déclarations ? Etait-il vraiment sur place ?

 RUZIBIZA NE DONNE AUCUNE INFORMATION SUR SON REPLI, NI SUR CELUI DES TIREURS DE MISSILES APRÈS L’ATTENTAT. MAIS OÙ EST DONC PASSÉE LA TOYOTA BLANCHE QUI A TRANSPORTÉ LES MISSILES ?

L’auteur ne donne que peu de précisions sur sa propre retraite et sur celle de l’équipe des tireurs (P.252)6. Aucune précision sur le devenir de la Toyota blanche qui a transporté les missiles. Difficile d’imaginer que, une fois l’avion abattu, le véhicule remonte la piste de Masaka pour rejoindre la route Kigali-Kibungo là où se trouve le barrage des FAR. Les militaires du barrage FAR étaient aux premières loges pour observer le tir des missiles distant d’à peine 500 m à vol d’oiseau. Ils auraient intercepté la Toyota et ses occupants FPR. Aucune arrestation d’agents du FPR n’a été signalée après l’attentat. Si la Toyota blanche avait été abandonnée à proximité du lieu du tir ou même ailleurs, elle aurait été trouvée et aurait pu servir d’élément à charge contre le FPR puisque, selon l’auteur, ce véhicule était affecté au CND où était cantonné le FPR. Cela n’a pas été le cas. Difficile aussi d’imaginer que le véhicule ait pu fuir via Masaka ou Kabuga, où la population et les milices devaient être en alerte. Une dizaine de jours avant l’attentat, j’ai rencontré un groupe de miliciens CDR à Masaka.

L’ordonnance du juge Bruguière n’est guère plus précise mais on y trouve quelques rares indications dans les lignes consacrées à Emmanuel Ruzigana6 soi-disant aussi présent à Masaka (p.25) : « Qu’il devait par ailleurs entendre sur son poste émetteur-récepteur le Lieutenant Kayonga annoncer à Franck Nziza que l’avion qui allait arriver était bien celui du Président Habyarimana et qu’il devait “faire le travail”, ajoutant qu’après l’attentat, il avait récupéré les membres de son groupe et rejoint le CND. » Ce passage nous apprend qu’un commando a rejoint le CND mais on ne sait pas si c’est avec ou sans véhicule. Si c’est avec le véhicule, comment a-t-il pu après l’attentat traverser le barrage FAR à la jonction piste de Masaka-route Kigali-Kibungo ainsi que les autres barrages en direction du CND ? Si le véhicule a été abandonné, comment expliquer qu’il n’ait pas été récupéré par les FAR et produit comme indice matériel ?

Dans le témoignage de Ruzibiza daté du 14 mars 2004 et accessible sur internet, on apprend que les tireurs sont rentrés au CND après l’attentat et ce, dans la Toyota qui a transporté les missiles7. La question reste posée : comment un véhicule connu pour être en poste au cantonnement du FPR au CND, sous la surveillance de la Garde présidentielle8 a-t-il pu après l’attentat, traverser le barrage à la sortie de la piste de Masaka et les autres barrages vers le CND alors que les FAR et milices sont en alerte ?

 L’AUTEUR DÉCLARE AU TPIR NE PAS CONNAÎTRE LE VÉHICULE QUI A TRANSPORTÉ LES MISSILES.

Extrait de sa déposition au TPIR du 10 mars 2006 au pocès Bagosora :

À la question du procureur portant sur le transport des missiles :

« Quand est-ce qu’ils sont… ils ont été emmenés à Masaka ? », il répond : « Le véhicule qui les a transportés du CND à Masaka ne m’est pas connu, mais je pourrais peut-être faire une approximation en considérant le temps qu’il faut pour couvrir la distance entre le CND et Masaka. Mais ces missiles sont arrivés à Masaka à 8 h5 minutes environ, et c’était le soir. C’est donc 20 h 5. »

Discussion. Selon le scénario décrit par Ruzibiza (Rwanda. L’histoire secrète, p.247), le véhicule qui a transporté les missiles à Masaka était une camionnette Toyota 2200 blanche qui faisait partie d’un ensemble de véhicules affectés au CND. Elle servait à la collecte des poubelles du FPR et ses plaques d’immatriculation étaient régulièrement changées, nous dit-il. Comment expliquer que Ruzibiza puisse déclarer au TPIR ne pas connaître cette camionnette Toyota 2200 qu’il implique dans le transport des missiles vers Masaka ? Comment expliquer qu’il ne connaisse pas le véhicule affecté à la collecte des poubelles au CND si lui-même est basé au CND9 (préface p.28) ? L’explication la plus probable est qu’il a inventé le scénario du transport des missiles et qu’il n’a jamais été au CND.

 L’AUTEUR CHANGE DE VERSION ET SE CONTREDIT CONCERNANT SON RÔLE DANS L’ATTENTAT.

Dans « Rwanda. L’histoire secrète » p. 237, il dit être témoin direct et être présent sur place10. En postface de son livre, il est présenté comme un membre du Network commando, le commando qui, selon l’enquête du juge Bruguière, a abattu l’avion du président Habyarimana. Dans un chapitre intitulé « La reconnaissance du lieu de tir des missiles », il dit en parlant de Masaka (pp.245 et 246) : « on utilisait des motos pour pouvoir s’y rendre et en revenir. » Nous pouvons donc en déduire que selon son livre, il faisait bien partie de l’équipe chargée de la préparation de l’attentat.

Selon l’ordonnance du juge Bruguière (p. 23), Abdul Ruzibiza faisait partie du « network commando » dont la mission était de procéder à des enlèvements, des attentats et des assassinats de personnalité politiques en désaccord avec le FPR ainsi qu’à des repérages et des infiltrations pour la reprise des combats. Que concernant l’attentat du 6 avril, Ruzibiza fait partie en février 1994 d’une unité dont la mission était la reconnaissance du secteur Masaka-Kanombe.

Dans un entretien avec le journaliste de Libération, Christophe Ayad, Ruzibiza change de version (Libération du 28 novembre 2006) : il dément faire partie de l’équipe chargée de l’attentat. Il ajoute : « Nous savions seulement que nous étions en train de préparer l’assaut final sur Kigali. J’étais chargé d’observer les mouvements des troupes de l’adversaire et de faire des rapports quotidiens. C’est comme ça que j’ai été amené à voir les gens qui ont commis l’attentat, et ce sont ces noms que j’ai donnés au juge. »

Discussion. Si le scénario de l’attentat et de ses préparatifs tel que décrit « Rwanda. L’histoire secrète » est crédible, pourquoi le juge Bruguière n’a-til pas incarcéré Ruzibiza et ce, d’autant plus que dans l’ordonnance sa participation à une mission de reconnaissance concernant l’attentat du six avril est confirmée ?

 LA FAMILLE DE RUZIBIZA N’A PAS FUI LE RWANDA ET A ÉTÉ EXTERMINÉE.

Comme beaucoup d’autres familles tutsies, la famille de l’auteur a été exterminée pendant le génocide (pp. 9 et 74). Ces faits discréditent ses affirmations au journal Libération11 comme quoi, tous au FPR étaient au courant de ce que le président Habyarimana devait être tué. En effet, si les soldats du FPR avaient été au courant, les Tutsis de l’intérieur auraient été avertis et auraient été nombreux à quitter le Rwanda pour éviter les représailles.

Ruzibiza déclare au juge Bruguière avoir été mis au courant du projet d’attentat contre l’avion présidentiel à la fin mars 1994 (p.23), et à Christophe Ayad, il dit avoir été conscient à l’époque des conséquences pour les Tutsis (voir note de bas de page). S’il était au courant du projet d’attentat et si son souci était d’épargner la vie des Tutsis, pourquoi n’a-t-il pas fait fuir ses proches ou n’a-t-il pas dénoncé le projet d’attentat ? Il est difficile d’imaginer que Ruzibiza, au courant des intentions du FPR et conscient des conséquences qui suivraient, n’ait pas au minimum prévenu sa famille du danger qui la menaçait.

 CONFRONTÉES, LES DÉCLARATIONS DE HOURIGAN À LA BBC ET LES AFFIRMATIONS DE RUZIBIZA CONDUISENT À L’ABSURDE.

Michael Hourigan est un ex-enquêteur australien du TPIR qui, le 1er août 1997, rapporte avoir été en contact avec trois informateurs qui se disent membres du commando FPR qui a abattu l’avion présidentiel sur ordre de Paul Kagame. Il affirme avoir dû arrêter ses investigations sur l’attentat contre l’avion présidentiel. Le 9 février 2007, il a été interrogé par Mark Doyle de la BBC (voir ci-dessous).

Extrait du site de la BBC, un interview de Michael Hourigan par Mark Doyle :

Mr Hourigan told the BBC from his home in Australia that senior UN officials instructed him to stop his enquiries. « None of it makes sense », he said. « That all of a sudden when we get the breakthrough and we start to actually get people coming forward saying: “We were involved in the crash, you know, I fired a rocket which took the president’s aircraft down” – when we’re getting those people with that sort of quality information coming forwards and then we shut it down. » « I mean it didn’t make sense to me then and it doesn’t make sense to me now ».

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (p. 251) :

« Vers 20h25, l’avion a été abattu par deux tireurs. Le premier tireur, le caporal Eric Hakizimana, a touché l’avion sur l’aile droite sans pouvoir le descendre. Le deuxième tireur, le sous-lieutenant Frank Nziza, a lancé le second missile 3 ou 5 secondes après et a abattu définitivement l’avion. »

Discussion. Si on admet pour vraies les déclarations de Hourigan et de Ruzibiza à l’instar du juge Bruguière, et si on les combine, on en déduit que l’informateur de Hourigan qui affirme avoir tiré est soit le caporal Eric Hakizimana, soit le sous-lieutenant Frank Nziza. Or, selon l’ordonnance du juge Bruguière, Eric Hakizimana et Frank Nziza seraient toujours en poste dans l’APR. Si l’un de ces deux derniers est un des informateurs de Hourigan et donc accusateur et dénonciateur de Paul Kagame comment expliquer qu’il soit toujours actif dans l’APR ? N’aurait-il pas dû fuir depuis longtemps ? N’est-ce pas là une démonstration par l’absurde que les informations de Hourigan et de Ruzibiza sont peu compatibles et qu’au moins un des deux scenarii est une invention ? Et donc que certains sont prêts à inventer à tout prix un scénario pour impliquer le FPR dans l’attentat.

 LA DATE DE SA MISE AU COURANT DE L’ATTENTAT VARIE AU COURS DU TEMPS.

Dans « Rwanda. L’histoire secrète », il ne précise pas cette date mais il la mentionne au cours de ses dépositions devant la justice et lors d’un entretien avec le journal Libération. Ci-dessous un tableau comparatif reprenant ses différentes déclarations à ce sujet.

Discussion. La date de sa mise au courant du projet d’attentat contre l’avion présidentiel varie au cours du temps (de fin mars au 5 avril en passant par le 3 avril). Ceci est étonnant parce que tout au long de son livre l’auteur date les évènements au jour près, ce que l’auteur de la préface, Claudine Vidal, justifie par l’utilisation de la méthode mnémotechnique et la pratique d’exercices de mémoire. Alors comment peut-il varier à ce point pour un évènement aussi important que la mise au courant du projet d’attentat sur l’avion présidentiel ? La méthode mnémotechnique et sa mémoire ne fonctionneraient-elles plus comme précédemment ?

 5. CONCERNANT LES MASSACRES OU ASSASSINATS ATTRIBUÉS AU FPR

• DES MASSACRES TRÈS DOCUMENTÉS.

Ruzibiza décrit sur des dizaines et des dizaines de pages une série de massacres et d’assassinats perpétrés, selon lui, par le FPR avant, pendant et après le génocide. Ils sont souvent décrits avec beaucoup de précision : les dates, les faits, le nom des exécutants et souvent des donneurs d’ordre. Il dit soit avoir été témoin, soit avoir recueilli ces informations auprès d’autres militaires du FPR. Ce qui surprend dans ce récit, c’est que l’auteur n’a que des certitudes sur les faits, les auteurs et les donneurs d’ordre de ces massacres. Jamais aucune hésitation, c’est le FPR ! A titre d’exemple, l’assassinat du ministre Gatabazi est attribué à des membres du FPR. Il ne débat même pas des autres pistes évoquées. En effet, selon d’autres enquêtes, de sérieux soupçons pesaient sur la mouvance présidentielle [voir plus loin]. Ce qui étonne également, c’est la grande certitude et précision dans les dates des évènements. Beaucoup sont rapportés au jour près. Ainsi pour le mois de mai, il rapporte des faits aux dates suivantes : 1/5/94, 2/5/94, 3/5/94, 4/5/94, 5 au 10/5/94 , 11/5/94, 12/5/94, 12 au 16/5/94, 17/5/94, 18/5/94, 19/5/94, 20/5/94, 21/5/94, 23/5/94, 24 au 26/5/94, 27/5/94. Il réfère au 10 avril le début des massacres de Tutsis par des Hutus dans les communes de Satintsyi, Ndusu, Kivu, Gikomero, Mugambazi, Shyorongi, Kayonza et Rusumo. Le 12 avril, c’est au tour des communes de Mutura, Gatonde et Gishoma. Comment peut-il connaître au jour près le début des massacres dans ces communes aux quatre coins du pays ?

Personnellement, je vivais au Rwanda en 1994, et si je me souviens des dates des 6 avril et 11 avril (jour de mon évacuation du Rwanda), je suis incapable de me souvenir au jour près des évènements qui ont marqué le Rwanda jusqu’en avril 1994. A titre d’exemple, je suis intervenu avec les casques bleus pour extraire une famille tutsie attaquée par les milices suite à la mort de Bucyana, un des leaders de la CDR. Si je me souviens que c’était en février, je suis incapable de situer au jour près cet évènement qui m’a pourtant marqué à vie.

• UN MASSACRE À BASE TRÈS PEU CRÉDIBLE.

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (p.190) :

« 8/2/1993. Préfecture de Byumba.

Auparavant, l’unité Alpha mobile, s’en est pris aux véhicules qui transpor

taient des populations civiles de la sous-préfecture de Kirambo fuyant les com

bats. Des coups de feu avaient commencé à crépiter dans la nuit du 7 au 8

février. Beaucoup de gens avaient suivi attentivement ………………………

……………………………………………………… L’unité Alpha mobile qui les a surpris à cet endroit en a massacré 400 en un rien de temps. La plupart des cadavres ont été jetés à a rivière Base, tandis que les autres gisaient sur la place du marché de Base. Parmi les plus hauts responsables présents sur place, je citerai J01 Gakwavu, SO Ngumbayingwe, JO1 Mwesigye et JO2 Tumusime (1) »

(1). « Je suis témoin oculaire de cette attaque à Base. »

Discussion. Base est un petit centre de commerce situé à une cinquantaine de kilomètres sur la route Kigali – Ruhengeri au confluent des rivières Base et Bahimba. La rivière Base se déverse dans la rivière Nyabarongo [voir image 5]. Si des cadavres y avaient été jetés à partir de la localité de Base, ils auraient atteint la Nyabarongo et dérivé sur cette dernière en direction de Kigali. Si des corps ont dérivé sur la Nyabarongo, pourquoi les médias rwandais et internationaux de l’époque ne l’ont-ils pas rapporté comme lorsque des cadavres étaient charriés par la même rivière suite aux massacres au Burundi en 1993 ? Dans l’hypothèse où les cadavres auraient été éventrés (ce dont il ne parle pas) et auraient coulé au fond de la rivière, il est impensable qu’un massacre de 400 personnes soit passé inaperçu. D’autre part la rivière Base est peu profonde à cet endroit et éventrer les cadavres n’aurait servi à rien. Ces massacres de Base semblent être une invention de Ruzibiza. Mes convictions sont renforcées par son témoignage daté du 14 mars 2004 et accessible sur internet. En effet en page 15, il évoque le massacre de Base12 mais il ne parle que de cadavres incinérés ou enterrés alors que selon « Rwanda. L’histoire secrète », la plupart des cadavres ont été jetés à la rivière.

Il est difficile de croire qu’une telle divergence résulte d’une défaillance de la mémoire alors qu’il dit avoir été témoin oculaire. Elle est plutôt la confirmation que l’auteur a inventé cet évènement.

• RUZIBIZA ATTRIBUE AU FPR L’ASSASSINAT DE FELICIEN GATABAZI, MINISTRE PSD, LE 21 FÉVRIER 1994.

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (p. 224) : « Le ministre Felicien Gatabazi a été assassiné par des membres de l’APR qui s’étaient dissimulés parmi les Interahamwe. Son meurtrier, le lieutenant Godfrey Ntukayajemo, alias Kiyago logeait chez Gatete Polycarpe actuellement sénateur au parlement rwandais à Cyicukiro. »

Discussion. Le Rwanda était à l’époque découpé en préfectures, communes, secteurs et cellules. La cellule était à son tour découpée en nyumbakumis, groupements d’une dizaine de maisons avec un responsable à sa tête. Ce responsable avait pour mission de surveiller les entrées et sortie de population afin d’éviter entre autres les infiltrations du FPR. En outre, à l’époque, les quartiers de Kigali étaient étroitement surveillés par les milices locales Interahamwe et/ou CDR. Gatete Polycarpe, homme d’affaires Tutsi de Kicukiro avait été désigné plusieurs fois avant l’assassinat de Gatabazi par la sinistre radio RTLM comme étant un financier du FPR. Il serait étonnant qu’un officier du FPR ait choisi de séjourner au nez et à la barbe des milices et du responsable du nyumbakumi chez un individu ciblé par la RTLM. D’autre part, les milices Interahamwe étaient constituées de miliciens qui se connaissaient et il serait étonnant que des inconnus armés aient pu se dissimuler en leur sein. En outre, le ministre Gatabazi était en faveur de l’application des accords de paix d’Arusha qu’Habyarimana s’ingéniait à retarder. Kigali où il a été assassiné n’était pas vraiment en zone FPR mais en pleine zone des FAR et des extrémistes hutus. Des listes de personnes à abattre y circulaient. Quel intérêt aurait eu le FPR à abattre un ministre qui était pour son intégration dans le futur gouvernement rwandais ? Par contre, plusieurs documents ou témoignages sont accablants pour la mouvance présidentielle :

* Le ministre belge des Affaires étrangères, Willy Claes, rappelle dans l’émission « Dossier noir » d’avril 2004 de la RTBF qu’il a fait un exposé un dimanche après midi13 dans le jardin de l’ambassade de Belgique à Kigali, pour inciter une fois de plus Habyarimana à accélérer l’application des accords d’Arusha. Un exposé qu’il qualifie de brutal, où il dit que cela ne peut pas continuer comme cela. Claes rapporte qu’un ministre, Félicien Gatabazi, prend la parole, lui donne raison, affirme qu’il faut changer de cap, qu’il faut faire un gouvernement de coalition avec Hutu et Tutsi et qu’il faut respecter les règles du jeu . Et Claes d’ajouter : « Cela a très mal tourné. Le lendemain, j’ai appris que cet homme courageux avait été tué ». L’émission nous apprend aussi qu’en mars, l’ambassadeur de Belgique Johan Swinnen signale dans ses rapports que des listes de personnalités à assassiner circulent (à Kigali).

* Le général Dallaire, chef militaire de la MINUAR, relate la soirée du 20 février à la résidence de l’ambassadeur de Belgique à la p. 247 de son livre « J’ai serré la main du diable ». Selon Dallaire, à cette occasion, Gatabazi a accusé le MRND de manipuler le processus politique et d’être la cause de l’impasse. Il ajoute que Gatabazi avait déjà accusé publiquement la Garde présidentielle de procéder à l’entraînement de milices à la caserne de Kanombe et avait reçu des menaces de mort. Et le Général d’ajouter qu’il avait senti une haine incroyable de la part des extrémistes du MRND envers lui et Gatabazi. Il avait compris que Gatabazi venait de signer sa condamnation à mort.

* Les annexes du rapport de la Commission d’enquête parlementaire du Sénat de Belgique concernant les évènements du Rwanda (1997) font état de télex émis par l’ambassade de Belgique où l’entourage du président Habyarimana est mis en cause14 et aussi d’une lettre du 3 décembre 1993 transmise par des officiers des FAR au général Dallaire, lettre qui fait état d’un plan machiavélique conçu par le président Habyarimana pour massacrer des Tutsi et éliminer certaines hautes autorités dont Monsieur Gatabazi15.

En outre, selon Reyntjens (1996, p.61), les investigations de la police de la MINUAR incriminaient plutôt la Garde présidentielle.

• RUZIBIZA ACCUSE DES TUTSIS RÉFUGIÉS AU CND OU AU STADE AMAHORO EN AVRIL 1994 DE DÉSIGNER DES HUTUS À ÉLIMINER.

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (pp.262 et 263) :

« C’est le capitaine Charles Karamba, le capitaine Jean Damascène Sekamana, le sergent Deus Kagiraneza et les autres agents de renseignement qui ont établi des listes de Hutus à tuer sous le prétexte qu’ils étaient des Hutus instruits ou avaient des familles influentes. La tâche était facile parce qu’ils prenaient des renseignements auprès des familles tutsies réfugiées au CND ou au stade Amahoro à Remera. Parmi ces civils, on peut citer Gatete Polycarpe… . »

Discussion. Ses charges envers Gatete Polycarpe qu’il accuse de désigner en date du 13 avril 1994 des Hutus à éliminer depuis le stade Amahoro ou le CND s’avèrent aussi être plus que sujettes à caution. En effet, Gatete Polycarpe affirme avoir été à Cyangugu le 13 avril et cette présence est confirmée par les déclarations d’un témoin qui était présent à Cyangugu à cette époque.16

• LES PATIENTS DU CENTRE PSYCHIATRIQUE DE NDERA ONT-ILS ÉTÉ TUÉS DEUX FOIS ?

Extrait de « Rwanda. L’histoire secrète » (pp.298 et 299) :

« 23/5/1994. ……… Ceux qui sont passés par Ndera ont subi le même sort : le colonel Bagire a ordonné leur exécution y compris celle des fous du centre psychiatrique de Ndera. »

Discussion. Lorsque les militaires belges de l’opération Silver Back se sont rendus à Ndera pour évacuer des ressortissants belges, les rwandais qui se trouvaient au Centre Psychiatrique ont supplié les premiers de les emmener avec eux. En effet, le Centre psychiatrique était pris sous le feu des FAR depuis plusieurs jours et des bandes armées hutues étaient prêtes à passer à l’assaut17. Après le départ des Belges, ils ont effectivement été massacrés par ces bandes armées. Les fous dont parle Ruzibiza ont vraisemblablement été tués à cette occasion. Els de Temmerman, journaliste belge au Rwanda pendant le génocide confirme : elle a rencontré des survivants du Centre psychiatrique et ceux-ci lui ont raconté comment les patients ont été massacrés par les Interahamwe.18 Ce témoignage est renforcé par celui de Valérie Bemeriki, journaliste à la RTLM durant le génocide, qui rapporte que les fous du Centre psychiatrique ont été éliminés à la demande de Stanislas Mbonampeka, un extrémiste Hutu.19

 6. RUZIBIZA EST AVARE DE PRÉCISIONS SUR SES FAITS ET GESTES

Ce qui étonne lorsqu’on parcourt son livre, c’est la précision avec laquelle il décrit des évènements dont il n’est pas l’auteur (dates, faits, nom des exécutants et souvent des donneurs d’ordre) mais il est avare de précision sur ses propres activités et déplacements. Ainsi, je n’ai trouvé dans son récit aucune indication concernant l’endroit où il rentrait après ses missions d’infiltration pour la période du 1er janvier au 6 avril 1994. La seule indication, je l’ai trouvée dans la préface à la page 28. C’est Claudine Vidal qui nous apprend qu’après l’attentat contre le Président, il regagna de nuit le CND (cantonnement du FPR). De nombreuses questions se posent. Comment estil rentré au CND après l’attentat ? À pied, en moto, en vélo, en stop ? Par quel chemin ? Comment a-t-il pu éviter les barrages alors que Kigali est sous la coupe des FAR et des milices en alerte ? Pourquoi n’a-t-il pas rendu compte de ses activités et déplacements au jour près ?

 7. DES ACCUSATIONS TARDIVES

Ruzibiza a vécu au sein du FPR jusqu’en 2001 alors que l’attentat sur l’avion présidentiel et de nombreux massacres qu’il attribue au FPR sont antérieurs à 1995. Il souligne dans son livre que la priorité du FPR lors de sa guerre contre les FAR était la prise du pouvoir et non de sauver les Tutsi. Ruzibiza a perdu toute sa famille dans le génocide. Alors pourquoi a-t-il attendu près de six ans pour quitter le FPR et témoigner. Son emprisonnement l’aurait-il plus révolté que les victimes des massacres qu’il attribue au FPR ? Personnellement, très vite après être rentré du Rwanda en 1994, j’ai témoigné à Amnesty International Belgique et j’ai écrit au Ministre des Affaires étrangères de l’époque, Willy Claes.

 8. CONCLUSIONS

Plusieurs éléments indiquent que le scénario de Ruzibiza impliquant le FPR dans les préparatifs de l’attentat contre le président Habyarimana n’est pas crédible et semble sortir tout droit de l’imagination de l’auteur, notamment :

• son revirement concernant sa participation à la préparation de l’attentat,

• l’invraisemblable scénario du véhicule transporteur de missiles qui passe et repasse contre toute logique le barrage des FAR à proximité de la piste de Masaka en attendant l’arrivée de l’avion,

• les tireurs et les missiles arrivant seulement une vingtaine de minutes avant le tir,

• le manque de précision concernant le site du tir des missiles de la part d’un agent en charge de cartographie et soi-disant présent sur place,

• ses tergiversations concernant le nombre de missiles ayant touché l’avion,

• les contradictions entre son livre et sa déclaration au TPIR concernant le véhicule qui a déposé les missiles à Masaka,

• l’absence d’explication au sujet de la retraite des tireurs et au sujet de sa pro-pre retraite alors que les FAR et les milices sont en alerte,

• sa famille n’a pas été mise à l’abri et a été massacrée,

• ses déclarations combinées avec celles de l’enquêteur australien Hourigan conduisent à l’absurde.

En outre, le juge Bruguière n’a pas arrêté Abdul Ruzibiza. Si le scénario de l’attentat tel que décrit dans « Rwanda. L’histoire secrète » est crédible, pourquoi Ruzibiza n’a-t-il pas été inquiété par la justice française ?

Le massacre de près de 400 personnes qu’il attribue au FPR et dont il affirme avoir été le témoin oculaire le 8 février 1993 à Base, la plupart des cadavres ayant été jetés à la rivière, n’est pas crédible car comment expliquer que près de 400 cadavres jetés à la rivière aient dérivé sur l’eau sans que personne ne s’en aperçoive et que la presse rwandaise la plus extrémiste ne s’en saisisse pour dénoncer le FPR. En outre, dans son témoignage de 2004, il ne parle pas de cadavres jetés à la rivière mais uniquement de cadavres enterrés ou incinérés.

Contrairement aux affirmations de Ruzibiza, les patients du Centre psychiatrique de Ndera ont été massacrés par les Interahamwe et non par le FPR.

Ses accusations envers Gatete Polycarpe qu’il accuse de désigner, en date du 13 avril 1994, depuis le stade Amahoro ou du CND, des Hutus à éliminer, s’avèrent aussi être sujettes à caution puisque, selon nos sources, Gatete Polycarpe était à Cyangugu entre le 4 avril et la fin du mois d’avril.

Le scénario attribuant au FPR l’assassinat du ministre Gatabazi est peu crédible.

En conclusion finale, plusieurs éléments et la date très tardive de ses accusations envers le FPR me laissent penser que Abdul Ruzibiza crée de toute pièce des évènements à charge du FPR et accuse ce dernier de crimes alors que les éléments et évènements connus pointent vers les extrémistes Hutus. Le livre de Ruzibiza me semble en conséquence faire partie d’une campagne de propagande qui vise à falsifier l’histoire du Rwanda et faire endosser autant que possible au FPR les crimes des extrémistes hutus.

 9. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

* Ayad Christophe. Abdul Ruzibiza : « J’ai été amené à voir les gens qui ont commis l’attentat ». Journal Libération, 28 novembre 2006.

* Bahizi Felicien.Témoignage de Valérie Bemeriki recueilli pour African Rights, le 28 février 2007.

* Braeckman Colette. Rwanda. Histoire d’un génocide. Fayard, 1994

* Braeckman Colette. L’enquête du juge Bruguière suscite plus de questions que de réponses.http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2006/11/27.

* Bruguière Jean-Louis. Ordonnance de soit-communiqué. Paris, novembre 2006.

* Commission d’enquête citoyenne : http://cec.rwanda.free.fr/documents/Publications/Version-Html/i_lc25marsmed.htm, 25 mars 2004.

* Dallaire Romeo. J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda. Edition Libre Expression, 2003.

* Doyle Mark. Rwanda ‘plane crash probe halted’. BBC, 9 févier 2007,http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/6348815.stm 9.

* Mahoux Philippe et Verhofstadt Guy. Rapport de la Commission d’enquête parlementaire concernant les évènements du Rwanda. Annexes. Sénat de Belgique, 6 décembre 1997.

* Reyntjens Philippe. Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l’histoire. L’Harmattan, 1996.

* RTBF. Dossier noir. Avril 2004.

* Ruzibiza Abdul Joshua. Rwanda. L’histoire secrète. Editions du Panama, 2005.

* Ruzibiza Abdul. Témoignage de Abdul Rubiziza : http://www.grandslacs.net/ doc/3136.pdf, 14/03/2004.

* Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Transcription du procès Bagosora et Al. du 9 mars 2006

Notes de la présentation de Jacques Morel :

1 Abdul Joshua Ruzibiza, Rwanda, l’histoire secrète, Editions du Panama, octobre 2005.

2 CEC, L’horreur qui nous prend au visage, p. 349.

3 CRAP : Commandos de recherche et d’action en profondeur formés par les Français au sein du bataillon para-commando de Kanombe.

4 A. Guichaoua Rwanda 1994 – Les politiques du génocide à Butare, p. 418.

5 HRW précise que le major Bigabiro n’a pas été jugé pour ce massacre précis mais pour un autre. Cf. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, pp. 824, 851.

6 Philip Verwind, Testing the Double-Genocide Thesis for Central and Southern Rwanda, Journal of conflict resolution, Vol 47, 4, August 2003, 423-442.

7 Qu’un infirmier soit recruté dans une équipe de tireurs de missiles, c’est plutôt étonnant, s’interrogeait Colette Braeckman devant la CEC. Cf. CEC, ibidem.

8 CEC, ibidem.

9 Guichaoua écrit : « En outre, depuis quelques mois [en 2003 semble-t-il], je travaillais étroitement avec de nombreux officiers des ex-FAR pour la préparation des dossiers du TPIR. » (p. 456).

10 Compte rendu du Conseil restreint du 13 avril 1994, version état-major particulier.

Notes de Pierre Jamagne :

1 « Rwanda. L’histoire secrète » p. 82 : « À l’aide des cartes topographiques, j’ai donné des indications précises sur les endroits qui ont connu des massacres divers. De temps à autre, je précise l’endroit, ou le site, où des tueries de grande ampleur se sont produites : les maisons, les terrains de football, les églises, les écoles, etc. Je me contente parfois de citer la localité parce que les massacres se sont déroulés sur une longue distance ou dans des endroits variés. Autrement, je précise le point exact où tel ou tel forfait a été perpétré. »

2 Dans ce texte, lorsque le mot FAR est utilisé avec les termes « point de contrôle » et « barrage », il signifie soit les forces armées rwandaises, soit la gendarmerie.

3 Ce barrage FAR était connu des voyageurs qui empruntaient la route menant de Kigali à Kibungo. Ce barrage est évoqué et localisé à la bifurcation entre la piste de Masaka et la route nationale Kigali-Kibungo par Ph. Reyntjens (1996, pp. 24 et 36). Je suis passé plusieurs fois à hauteur de ce barrage.

4 Déposition du 9 mars 2006, p. 20 : « Et j’ai vu une camionnette qui… à bord de laquelle se trouvaient les militaires du FPR, et ces militaires avaient des missiles de marque SAM 16. Ces militaires sont arrivés, ils m’ont trouvé à l’endroit où je me trouvais, et c’était aux environs de 20 h 30. » Déposition du 10 mars 2006, p. 42 : « Mais ces missiles sont arrivés à Masaka à 8 h 5 minutes environ, et c’était le soir. C’est donc 20 h 5. Q. Et vous déclarez que, 17 ou 18 minutes plus tard, ces missiles ont été tirés sur cet avion, n’est-ce pas ? R. Oui, c’est ce qui s’est passé. »

« Après l’attentat contre l’avion, chacun des commandos infiltrés dans Kigali pour diverses missions ont été en général récupérés par le High Command et la DMI. »

6 Selon l’ordonnance, E. Ruzigana, dirigeait sous la couverture de chauffeur de taxi, un groupe de six militaires.

7 Abdul Ruzibiza. Témoignage de Abdul Rubiziza. http://www.grandslacs.net/doc/3136.pdf, 14/03/2004.

« Rwanda. L’histoire secrète » p. 247 : « Sur la chaussée devant le CND, il y avait toujours des militaires de la garde présidentielle (GP) déguisé en travailleurs du MINITRAPE (ministère des Travaux publics et de l’Energie) qui faisaient mine de désherber la chaussée. »

« Le 6 avril 1994, après l’attentat contre l’avion présidentiel, il regagna de nuit le CND. »

10 « Rwanda, L’histoire secrète » p. 237 : « Je suis témoin direct pour ce qui s’est passé lors du lancement des roquettes SA-16, car j’étais sur place. »

11 Extrait de l’entretien avec le journaliste Christophe Ayad (Libération, 28 novembre 2006) :

– Ayad : Saviez-vous ce qui allait se passer ?

– Ruzibiza : Le fait que le président Habyarimana devait être tué était connu de tous. A partir de février, Kagame le disait chaque fois lors de ses tournées dans les unités : « Ne vous fiez pas aux accords d’Arusha. Nous arriverons à Kigali grâce à nos kalachnikovs ». Personnellement, j’ai été informé d’un projet d’attentat contre l’avion présidentiel le 5 avril.

– Ayad : Étiez-vous conscient des conséquences de cet attentat ?

– Ruzibiza : Oui ! Il suffisait d’un peu de bon sens. À chaque fois qu’on lançait une petite attaque, les extrémistes hutus tuaient 500 Tutsis, brûlaient des maisons, volaient le bétail.

12 Abdul Ruzibiza. Témoignage de Abdul Rubizizahttp://www.grandslacs.net/doc/3136.pdf, 14/03/2004 : « Je me rappelle que là où j’étais affecté, dans des communes de Ruhengeri, par exemple à Base, au mois de février 1993, les soldats ont massacré les populations au point que malgré l’incinération des corps et l’enterrement de nombreux autres, il en est resté qui se sont décomposés à même le sol le long de la route à l’intérieur de Base, jusqu’à ce que le GOMN (Groupe d’observateurs militaires neutres) est arrivé et nous a demandé si on n’avait pas honte de vivre avec des cadavres et de passer par-dessus sans scrupules. On a alors appelé les rescapés pour procéder à l’enterrement de ces cadavres et tout de suite après le départ du GOMN, ceux qui avaient enterré ces cadavres furent à leur tour massacrés. »

13 Le 20 février.

14 Extrait du rapport : « Le télex nº 168 du 1er mars 1994 d’Ambabel Kigali à Minafet Bruxelles, qui contient un rapport relatif à l’entretien entre l’ambassadeur et la veuve de M. Gatabazi : « … maar toch weegt de verdenking volgens hen eerder op de president en zijn entourage. » [traduction française : ….mais selon eux les soupçons pèsent plutôt sur le Président et son entourage]. « Ce soupçon est renforcé par un télex du 3 mars 1994 du ministre des Affaires étrangères à Ambabel Kigali. En effet, d’après la Sûreté de l’État, l’assassinat de Gatabazi serait dû au fait qu’il possédait des documents relatifs à des malversations financières compromettantes pour le président Habyarimana. Dans le télex nº 184 du 5 mars 1994, Ambabel Kigali transmet, à son tour, deux messages d’un informateur à Minafet Bruxelles, qui mettent en évidence l’implication directe du Président et de son entourage. »

15 Extrait du rapport : « La lettre révèle que le président Habyarimana a conçu un “plan machiavélique” (traduction), dans le cadre duquel « d’autres massacres du genre sont en train de se préparer et devront s’étendre sur toutes les régions du pays, à commencer par les régions dites à forte concentration de l’ethnie Tutsi … ce plan (…) vise également certaines hautes autorités de ce pays (…) ». « Et l’on cite à cet égard le nom du chef du PSD, Gatabazi. »

16 Déclaration du témoin : « En effet, depuis le 4 avril 1994 jusqu’à la fin de ce mois, Gatete Polycarpe était à Cyangugu. Et en date du 13 avril, il était précisément caché à l’évêché de Cyangugu, je le sais très bien pour l’avoir vu et je prends l’actuel évêque de Kigali, les abbés Ndorimana Jean et Modeste Kajyibwami pour témoins de cela. »

17 Emission Dossier noir. RTBF, Avril 2004.

18 Témoignage de Els de Temmerman recueilli le 13 mars 2008 : « I went back to Ndera psychiatric clinic just after the RPF took over and the survivors told me in detail how the patients were slaughtered by the Interahamwe. The story is in my book “The dead are alive”. »

19 Interview de Valérie Bemeriki recueilli par Félicien Bahizi pour African Rights le 28 février 2007 : « Mbonampeka a beaucoup utilisé la RTLM pour lui aider à exécuter son plan d’éliminer des Tutsis à Ndera, surtout ceux qui avaient pris refuge à l’hôpital, dit CARAES. Depuis le 6 avril, il nous demandait d’appeler les Hutus à se défendre contre les Tutsis, leur trompant que ces derniers collaboraient avec les inkotanyi à les tuer. Afin que les Tutsis qui avaient pris refuge à CARAES ne s’échappent pas, Mbonampeka nous a demandé d’utiliser des fausses annonces en disant que Ndera étaient sous le contrôle du FPR inkotanyi. Les Tutsis sont restés tranquilles jusque le 18 avril quand une attaque bien armée en provenance de Kanombe est allée les éliminer sans non plus épargner de ceux qui avaient des problèmes psychiques. C’est le message nous confié par Mbonampeka qui a été à la base de l’élimination des fous, car ils nous disait de déclarer que les inkotanyi s’étaient déguisés en fous pour pouvoir tuer les Hutus. »

Source:http://www.lanuitrwandaise.net/la-revue/no2-o-2008/rwanda-l-histoire-secrete-de-abdul,112.html

a�s N� � avril 1994, à 20h30, l’avion Falcon ramenant à Kigali les présidents rwandais et burundais était abattu par un missile, à l’approche de la capitale rwandaise. La lumière n’est toujours pas faite sur cet attentat qui fut pourtant le détonateur du génocide. De plus en plus d’éléments tendent néanmoins à accréditer la thèse d’une implication française. Quel que soit le niveau de ses responsabilités dans l’attentat, la France ne peut pas « ne pas savoir ». Elle fait pourtant silence.

 

Mi-juin 1994, Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir, reçoit par porteur une lettre datée du 29 mai et signée d’un « chef de milice à Kigali ». Il écrit :
« L’avion du président Habyarimana a été abattu par deux militaires français du DAMI (Détachement d’assistance militaire à l’instruction) au service de la CDR [l’extrême droite rwandaise – NDLR] dans le but de déclencher le carnage […]. 
Il n’y avait que très peu de CDR au courant de ce complot, quatre personnes plus les deux Français, personne de la famille du Président, quatre chefs CDR dont moi […]. Les Français ont mis des uniformes belges pour quitter l’endroit et être vus de loin par deux soldats de la garde nationale […]. L’un des Français s’appelle, je crois, Étienne et est jeune […] ». [1]

Cherchant à recouper ce témoignage, Colette Braeckman découvre qu’un soldat français répondant au surnom d’Étienne « se trouvait effectivement au Rwanda à ce moment. Cet “Étienne” était en réalité le nom de code d’un instructeur de tir français qui avait travaillé au Rwanda, P. E., le nom de code commençant, comme de coutume, par la première lettre du nom de famille. 
“Étienne”, spécialiste de tir mortier et portant le grade de sergent, qui faisait partie du DAMI, avait quitté Kigali avec l’opération Noroît en décembre 1993. Il était discrètement revenu au Rwanda en mars 1994 et depuis l’été, il se trouve au Burundi. » [2]

En décembre 1993, l’opération Noroît sonnait le départ du contingent de militaires français opérant au Rwanda depuis 1990, date de l’offensive du FPR. Officiellement, seuls 25 coopérants militaires devaient rester présents au Rwanda. Pourtant de nombreux témoignages font état, dès février 1994, de la présence, à Kigali et Butare notamment, d’une douzaine de membres du DAMI en civil.
A des amis, l’un des ces militaires devait déclarer qu’il se trouvait au Rwanda « avec quelques copains, pour une mission de courte durée » [3]. « Plusieurs témoins affirment avoir reconnu, en février, onze de ses membres revenir en civil dans la capitale rwandaise, et l’on ne manque pas de traces de cette présence officieuse. »(11)
« Par la suite, certains de ces “soldats inconnus” devaient gagner Goma [au Zaïre] depuis Gitarama, où se trouvait alors le gouvernement intérimaire rwandais, et déclarer qu’ils avaient “laissé des hommes derrière eux » [4] [c’est-à-dire déploré des morts dans leurs rangs – NDLR].

D’autres témoignages corroborent la thèse de la présence de militaires français sur le site de tir des missiles au moment de l’attentat. Parmi eux, celui de Paul Henrion, citoyen belge, ami du défunt président rwandais et qui a passé sa vie au Rwanda. Il confie à Colette Braeckman avoir vu « le 6 avril, à 10 heures du matin, sur la route de Massaka […] des militaires installés derrière une mitraillette quadruple [et] deux lanceurs portatifs. […] 
Certains de ces hommes, qui portaient l’uniforme des gendarmes rwandais et/ou les bérets noirs de la garde présidentielle, avaient mis leur béret à l’envers, à la mode française, alors que les Rwandais portent leur béret du même côté que les Belges. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir de soldats français d’origine martiniquaise ou guadeloupéenne comme il y en avait beaucoup au Rwanda ». [5]
A 20h15, soit quinze minutes avant l’attentat, M. Henrion repasse sur les lieux pour constater : « À ma grande surprise ils étaient toujours là, en position de tir. Par la suite, Massaka a été rasée et des milliers d’habitants tués. Comme si l’on avait voulu supprimer tous les témoins ». [6]

L’opération de tir sur l’avion présidentiel,« opération militaire minutieusement préparée » [7], a été effectuée par des professionnels qualifiés avec du matériel hautement sophistiqué.
« Tous les témoins qui, de près ou de loin, ont assisté au lancer des roquettes sont formels : la précision du tir ne peut qu’être l’oeuvre de professionnels, des étrangers vraisemblablement, car aucun militaire rwandais n’a jamais été formé à une telle technique et l’armée nationale ne dispose pas de missiles dotés d’un système de détection à infrarouges. 
En outre, l’appareil était pourvu d’un leurre permettant de déjouer le premier tir. Pour faire mouche, il fallait donc très vite, avant que le dispositif ne se remette en place, tirer un second coup. Ce qui fut fait, à la seconde près, par des tireurs qui connaissaient vraisemblablement le système de défense de l’avion. » [8]

L’engin utilisé pour abattre le Falcon, « un missile portable SAM [SAM 16 “Gimlet” – NDLR] de la série Strela » [9] fournit lui aussi de troublantes informations. Filip Reyntjens [10], proche de l’ancien régime rwandais et auteur d’un livre d’enquête sur les 72 heures qui suivirent l’attentat, a retrouvé le numéro de série du lanceur utilisé. Ayant remonté la piste, il affirme :
« Les deux lanceurs [qui] ont été récupérés par l’armée rwandaise trois semaines après l’attentat […] auraient fait partie d’un lot qui a été vendu en 1988 par l’ancienne Union soviétique à l’Irak. 
En février 1991, ces missiles ont été […] saisis par la France comme une sorte de butin de guerre à l’occasion de la guerre du Golfe […] Ils ont été emmenés en France, pays qu’ils n’ont officiellement jamais quitté. » [11]

« La France sait tout, après avoir envoyé le 10 avril 1994 un commando de la DGSE collecter les éléments de preuve sur place. Les militaires belges, qui ont mené leur propre enquête [pour éclaircir les circonstances de la mort, le 7 avril 1994, de dix paracommandos belges – NDLR], font état de l’implication dans l’attentat de deux de leurs collègues français (Esteban (ou Étienne) et Thadée… » [12]

A ce jour, l’enquête est pourtant suspendue… Les Nations unies, qui voudraient également y voir plus clair, n’ont toujours pas eu l’autorisation d’examiner l’épave de l’avion.La France garde le silence ou dément. Elle n’apporte en tous cas aucune preuve réfutant les éléments toujours plus précis qui la mettent gravement en cause.

Questions :

Pourquoi des soldats du DAMI sont-ils revenus au Rwanda après le départ de l’opération Noroît ?

Comment des armes lourdes détenues par l’armée française se sont-elles retrouvées au lieu-dit Massaka, près de Kigali, pour être utilisées contre l’avion présidentiel ?

Comment le gouvernement français explique-t-il la présence d’un militaire français instructeur de tir en lieu et heure de l’attentat ?

La Belgique, mise en cause après l’attentat, a immédiatement réclamé « l’ouverture d’une enquête internationale afin de déterminer les circonstances exactes de l’attentat et l’identité de ses auteurs » [13]. Aucune suite ne sera donnée à cette demande. Paris, en particulier, ne la relaiera aucunement.
Pourquoi la France, qui a soutenu politiquement et militairement le régime d’Habyarimana, est-elle aussi peu curieuse d’en savoir plus sur les circonstances de la mort de son ancien protégé ?

Les militaires français incriminés auraient « donné leur appui technique aux miliciens de la CDR pour abattre l’avion » [14].
Étaient-ils des mercenaires agissant à titre privé (pour qui dans ce cas ?) ou des hommes en mission sur ordre de leur gouvernement ?- Au moins six ressortissants français sont morts lors de ces événements : les trois membres de l’équipage du Falcon, plus deux coopérants militaires et l’épouse de l’un d’eux, assassinés à Kigali par des membres de la garde présidentielle, le lendemain de l’attentat.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas jugé nécessaire d’ouvrir une enquête ?
L’attentat du 6 avril 1994 fut l’étincelle qui provoqua le génocide des Tutsis rwandais et le massacre d’opposants hutus, faisant un million de victimes. La France a-t-elle allumé l’incendie ? L’Etat a ses raisons que la raison ignore.

Source:http://www.lanuitrwandaise.net/la-revue/no2-o-2008/rwanda-l-histoire-secrete-de-abdul,112.html

a�s N� � avril 1994, à 20h30, l’avion Falcon ramenant à Kigali les présidents rwandais et burundais était abattu par un missile, à l’approche de la capitale rwandaise. La lumière n’est toujours pas faite sur cet attentat qui fut pourtant le détonateur du génocide. De plus en plus d’éléments tendent néanmoins à accréditer la thèse d’une implication française. Quel que soit le niveau de ses responsabilités dans l’attentat, la France ne peut pas « ne pas savoir ». Elle fait pourtant silence.

 

Mi-juin 1994, Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir, reçoit par porteur une lettre datée du 29 mai et signée d’un « chef de milice à Kigali ». Il écrit :
« L’avion du président Habyarimana a été abattu par deux militaires français du DAMI (Détachement d’assistance militaire à l’instruction) au service de la CDR [l’extrême droite rwandaise – NDLR] dans le but de déclencher le carnage […]. 
Il n’y avait que très peu de CDR au courant de ce complot, quatre personnes plus les deux Français, personne de la famille du Président, quatre chefs CDR dont moi […]. Les Français ont mis des uniformes belges pour quitter l’endroit et être vus de loin par deux soldats de la garde nationale […]. L’un des Français s’appelle, je crois, Étienne et est jeune […] ». [1]

Cherchant à recouper ce témoignage, Colette Braeckman découvre qu’un soldat français répondant au surnom d’Étienne « se trouvait effectivement au Rwanda à ce moment. Cet “Étienne” était en réalité le nom de code d’un instructeur de tir français qui avait travaillé au Rwanda, P. E., le nom de code commençant, comme de coutume, par la première lettre du nom de famille. 
“Étienne”, spécialiste de tir mortier et portant le grade de sergent, qui faisait partie du DAMI, avait quitté Kigali avec l’opération Noroît en décembre 1993. Il était discrètement revenu au Rwanda en mars 1994 et depuis l’été, il se trouve au Burundi. » [2]

En décembre 1993, l’opération Noroît sonnait le départ du contingent de militaires français opérant au Rwanda depuis 1990, date de l’offensive du FPR. Officiellement, seuls 25 coopérants militaires devaient rester présents au Rwanda. Pourtant de nombreux témoignages font état, dès février 1994, de la présence, à Kigali et Butare notamment, d’une douzaine de membres du DAMI en civil.
A des amis, l’un des ces militaires devait déclarer qu’il se trouvait au Rwanda « avec quelques copains, pour une mission de courte durée » [3]. « Plusieurs témoins affirment avoir reconnu, en février, onze de ses membres revenir en civil dans la capitale rwandaise, et l’on ne manque pas de traces de cette présence officieuse. »(11)
« Par la suite, certains de ces “soldats inconnus” devaient gagner Goma [au Zaïre] depuis Gitarama, où se trouvait alors le gouvernement intérimaire rwandais, et déclarer qu’ils avaient “laissé des hommes derrière eux » [4] [c’est-à-dire déploré des morts dans leurs rangs – NDLR].

D’autres témoignages corroborent la thèse de la présence de militaires français sur le site de tir des missiles au moment de l’attentat. Parmi eux, celui de Paul Henrion, citoyen belge, ami du défunt président rwandais et qui a passé sa vie au Rwanda. Il confie à Colette Braeckman avoir vu « le 6 avril, à 10 heures du matin, sur la route de Massaka […] des militaires installés derrière une mitraillette quadruple [et] deux lanceurs portatifs. […] 
Certains de ces hommes, qui portaient l’uniforme des gendarmes rwandais et/ou les bérets noirs de la garde présidentielle, avaient mis leur béret à l’envers, à la mode française, alors que les Rwandais portent leur béret du même côté que les Belges. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir de soldats français d’origine martiniquaise ou guadeloupéenne comme il y en avait beaucoup au Rwanda ». [5]
A 20h15, soit quinze minutes avant l’attentat, M. Henrion repasse sur les lieux pour constater : « À ma grande surprise ils étaient toujours là, en position de tir. Par la suite, Massaka a été rasée et des milliers d’habitants tués. Comme si l’on avait voulu supprimer tous les témoins ». [6]

L’opération de tir sur l’avion présidentiel,« opération militaire minutieusement préparée » [7], a été effectuée par des professionnels qualifiés avec du matériel hautement sophistiqué.
« Tous les témoins qui, de près ou de loin, ont assisté au lancer des roquettes sont formels : la précision du tir ne peut qu’être l’oeuvre de professionnels, des étrangers vraisemblablement, car aucun militaire rwandais n’a jamais été formé à une telle technique et l’armée nationale ne dispose pas de missiles dotés d’un système de détection à infrarouges. 
En outre, l’appareil était pourvu d’un leurre permettant de déjouer le premier tir. Pour faire mouche, il fallait donc très vite, avant que le dispositif ne se remette en place, tirer un second coup. Ce qui fut fait, à la seconde près, par des tireurs qui connaissaient vraisemblablement le système de défense de l’avion. » [8]

L’engin utilisé pour abattre le Falcon, « un missile portable SAM [SAM 16 “Gimlet” – NDLR] de la série Strela » [9] fournit lui aussi de troublantes informations. Filip Reyntjens [10], proche de l’ancien régime rwandais et auteur d’un livre d’enquête sur les 72 heures qui suivirent l’attentat, a retrouvé le numéro de série du lanceur utilisé. Ayant remonté la piste, il affirme :
« Les deux lanceurs [qui] ont été récupérés par l’armée rwandaise trois semaines après l’attentat […] auraient fait partie d’un lot qui a été vendu en 1988 par l’ancienne Union soviétique à l’Irak. 
En février 1991, ces missiles ont été […] saisis par la France comme une sorte de butin de guerre à l’occasion de la guerre du Golfe […] Ils ont été emmenés en France, pays qu’ils n’ont officiellement jamais quitté. » [11]

« La France sait tout, après avoir envoyé le 10 avril 1994 un commando de la DGSE collecter les éléments de preuve sur place. Les militaires belges, qui ont mené leur propre enquête [pour éclaircir les circonstances de la mort, le 7 avril 1994, de dix paracommandos belges – NDLR], font état de l’implication dans l’attentat de deux de leurs collègues français (Esteban (ou Étienne) et Thadée… » [12]

A ce jour, l’enquête est pourtant suspendue… Les Nations unies, qui voudraient également y voir plus clair, n’ont toujours pas eu l’autorisation d’examiner l’épave de l’avion.La France garde le silence ou dément. Elle n’apporte en tous cas aucune preuve réfutant les éléments toujours plus précis qui la mettent gravement en cause.

Questions :

Pourquoi des soldats du DAMI sont-ils revenus au Rwanda après le départ de l’opération Noroît ?

Comment des armes lourdes détenues par l’armée française se sont-elles retrouvées au lieu-dit Massaka, près de Kigali, pour être utilisées contre l’avion présidentiel ?

Comment le gouvernement français explique-t-il la présence d’un militaire français instructeur de tir en lieu et heure de l’attentat ?

La Belgique, mise en cause après l’attentat, a immédiatement réclamé « l’ouverture d’une enquête internationale afin de déterminer les circonstances exactes de l’attentat et l’identité de ses auteurs » [13]. Aucune suite ne sera donnée à cette demande. Paris, en particulier, ne la relaiera aucunement.
Pourquoi la France, qui a soutenu politiquement et militairement le régime d’Habyarimana, est-elle aussi peu curieuse d’en savoir plus sur les circonstances de la mort de son ancien protégé ?

Les militaires français incriminés auraient « donné leur appui technique aux miliciens de la CDR pour abattre l’avion » [14].
Étaient-ils des mercenaires agissant à titre privé (pour qui dans ce cas ?) ou des hommes en mission sur ordre de leur gouvernement ?- Au moins six ressortissants français sont morts lors de ces événements : les trois membres de l’équipage du Falcon, plus deux coopérants militaires et l’épouse de l’un d’eux, assassinés à Kigali par des membres de la garde présidentielle, le lendemain de l’attentat.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas jugé nécessaire d’ouvrir une enquête ?
L’attentat du 6 avril 1994 fut l’étincelle qui provoqua le génocide des Tutsis rwandais et le massacre d’opposants hutus, faisant un million de victimes. La France a-t-elle allumé l’incendie ? L’Etat a ses raisons que la raison ignore.

Source:http://www.lanuitrwandaise.net/la-revue/no2-o-2008/rwanda-l-histoire-secrete-de-abdul,112.html

a�s N� � avril 1994, à 20h30, l’avion Falcon ramenant à Kigali les présidents rwandais et burundais était abattu par un missile, à l’approche de la capitale rwandaise. La lumière n’est toujours pas faite sur cet attentat qui fut pourtant le détonateur du génocide. De plus en plus d’éléments tendent néanmoins à accréditer la thèse d’une implication française. Quel que soit le niveau de ses responsabilités dans l’attentat, la France ne peut pas « ne pas savoir ». Elle fait pourtant silence.

 

Mi-juin 1994, Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir, reçoit par porteur une lettre datée du 29 mai et signée d’un « chef de milice à Kigali ». Il écrit :
« L’avion du président Habyarimana a été abattu par deux militaires français du DAMI (Détachement d’assistance militaire à l’instruction) au service de la CDR [l’extrême droite rwandaise – NDLR] dans le but de déclencher le carnage […]. 
Il n’y avait que très peu de CDR au courant de ce complot, quatre personnes plus les deux Français, personne de la famille du Président, quatre chefs CDR dont moi […]. Les Français ont mis des uniformes belges pour quitter l’endroit et être vus de loin par deux soldats de la garde nationale […]. L’un des Français s’appelle, je crois, Étienne et est jeune […] ». [1]

Cherchant à recouper ce témoignage, Colette Braeckman découvre qu’un soldat français répondant au surnom d’Étienne « se trouvait effectivement au Rwanda à ce moment. Cet “Étienne” était en réalité le nom de code d’un instructeur de tir français qui avait travaillé au Rwanda, P. E., le nom de code commençant, comme de coutume, par la première lettre du nom de famille. 
“Étienne”, spécialiste de tir mortier et portant le grade de sergent, qui faisait partie du DAMI, avait quitté Kigali avec l’opération Noroît en décembre 1993. Il était discrètement revenu au Rwanda en mars 1994 et depuis l’été, il se trouve au Burundi. » [2]

En décembre 1993, l’opération Noroît sonnait le départ du contingent de militaires français opérant au Rwanda depuis 1990, date de l’offensive du FPR. Officiellement, seuls 25 coopérants militaires devaient rester présents au Rwanda. Pourtant de nombreux témoignages font état, dès février 1994, de la présence, à Kigali et Butare notamment, d’une douzaine de membres du DAMI en civil.
A des amis, l’un des ces militaires devait déclarer qu’il se trouvait au Rwanda « avec quelques copains, pour une mission de courte durée » [3]. « Plusieurs témoins affirment avoir reconnu, en février, onze de ses membres revenir en civil dans la capitale rwandaise, et l’on ne manque pas de traces de cette présence officieuse. »(11)
« Par la suite, certains de ces “soldats inconnus” devaient gagner Goma [au Zaïre] depuis Gitarama, où se trouvait alors le gouvernement intérimaire rwandais, et déclarer qu’ils avaient “laissé des hommes derrière eux » [4] [c’est-à-dire déploré des morts dans leurs rangs – NDLR].

D’autres témoignages corroborent la thèse de la présence de militaires français sur le site de tir des missiles au moment de l’attentat. Parmi eux, celui de Paul Henrion, citoyen belge, ami du défunt président rwandais et qui a passé sa vie au Rwanda. Il confie à Colette Braeckman avoir vu « le 6 avril, à 10 heures du matin, sur la route de Massaka […] des militaires installés derrière une mitraillette quadruple [et] deux lanceurs portatifs. […] 
Certains de ces hommes, qui portaient l’uniforme des gendarmes rwandais et/ou les bérets noirs de la garde présidentielle, avaient mis leur béret à l’envers, à la mode française, alors que les Rwandais portent leur béret du même côté que les Belges. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir de soldats français d’origine martiniquaise ou guadeloupéenne comme il y en avait beaucoup au Rwanda ». [5]
A 20h15, soit quinze minutes avant l’attentat, M. Henrion repasse sur les lieux pour constater : « À ma grande surprise ils étaient toujours là, en position de tir. Par la suite, Massaka a été rasée et des milliers d’habitants tués. Comme si l’on avait voulu supprimer tous les témoins ». [6]

L’opération de tir sur l’avion présidentiel,« opération militaire minutieusement préparée » [7], a été effectuée par des professionnels qualifiés avec du matériel hautement sophistiqué.
« Tous les témoins qui, de près ou de loin, ont assisté au lancer des roquettes sont formels : la précision du tir ne peut qu’être l’oeuvre de professionnels, des étrangers vraisemblablement, car aucun militaire rwandais n’a jamais été formé à une telle technique et l’armée nationale ne dispose pas de missiles dotés d’un système de détection à infrarouges. 
En outre, l’appareil était pourvu d’un leurre permettant de déjouer le premier tir. Pour faire mouche, il fallait donc très vite, avant que le dispositif ne se remette en place, tirer un second coup. Ce qui fut fait, à la seconde près, par des tireurs qui connaissaient vraisemblablement le système de défense de l’avion. » [8]

L’engin utilisé pour abattre le Falcon, « un missile portable SAM [SAM 16 “Gimlet” – NDLR] de la série Strela » [9] fournit lui aussi de troublantes informations. Filip Reyntjens [10], proche de l’ancien régime rwandais et auteur d’un livre d’enquête sur les 72 heures qui suivirent l’attentat, a retrouvé le numéro de série du lanceur utilisé. Ayant remonté la piste, il affirme :
« Les deux lanceurs [qui] ont été récupérés par l’armée rwandaise trois semaines après l’attentat […] auraient fait partie d’un lot qui a été vendu en 1988 par l’ancienne Union soviétique à l’Irak. 
En février 1991, ces missiles ont été […] saisis par la France comme une sorte de butin de guerre à l’occasion de la guerre du Golfe […] Ils ont été emmenés en France, pays qu’ils n’ont officiellement jamais quitté. » [11]

« La France sait tout, après avoir envoyé le 10 avril 1994 un commando de la DGSE collecter les éléments de preuve sur place. Les militaires belges, qui ont mené leur propre enquête [pour éclaircir les circonstances de la mort, le 7 avril 1994, de dix paracommandos belges – NDLR], font état de l’implication dans l’attentat de deux de leurs collègues français (Esteban (ou Étienne) et Thadée… » [12]

A ce jour, l’enquête est pourtant suspendue… Les Nations unies, qui voudraient également y voir plus clair, n’ont toujours pas eu l’autorisation d’examiner l’épave de l’avion.La France garde le silence ou dément. Elle n’apporte en tous cas aucune preuve réfutant les éléments toujours plus précis qui la mettent gravement en cause.

Questions :

Pourquoi des soldats du DAMI sont-ils revenus au Rwanda après le départ de l’opération Noroît ?

Comment des armes lourdes détenues par l’armée française se sont-elles retrouvées au lieu-dit Massaka, près de Kigali, pour être utilisées contre l’avion présidentiel ?

Comment le gouvernement français explique-t-il la présence d’un militaire français instructeur de tir en lieu et heure de l’attentat ?

La Belgique, mise en cause après l’attentat, a immédiatement réclamé « l’ouverture d’une enquête internationale afin de déterminer les circonstances exactes de l’attentat et l’identité de ses auteurs » [13]. Aucune suite ne sera donnée à cette demande. Paris, en particulier, ne la relaiera aucunement.
Pourquoi la France, qui a soutenu politiquement et militairement le régime d’Habyarimana, est-elle aussi peu curieuse d’en savoir plus sur les circonstances de la mort de son ancien protégé ?

Les militaires français incriminés auraient « donné leur appui technique aux miliciens de la CDR pour abattre l’avion » [14].
Étaient-ils des mercenaires agissant à titre privé (pour qui dans ce cas ?) ou des hommes en mission sur ordre de leur gouvernement ?- Au moins six ressortissants français sont morts lors de ces événements : les trois membres de l’équipage du Falcon, plus deux coopérants militaires et l’épouse de l’un d’eux, assassinés à Kigali par des membres de la garde présidentielle, le lendemain de l’attentat.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas jugé nécessaire d’ouvrir une enquête ?
L’attentat du 6 avril 1994 fut l’étincelle qui provoqua le génocide des Tutsis rwandais et le massacre d’opposants hutus, faisant un million de victimes. La France a-t-elle allumé l’incendie ? L’Etat a ses raisons que la raison ignore.

 

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